#6 Les voix de Paul

Même si je l'ai évoqué dans le carnet #1, le titre du billet ne réfère pas aux voix qu'entendait Paul de Tarse, aka Saint Paul. Non le carnet de cette semaine parlera d'un autre Paul - presque aussi influent -, Paul de Liverpool, aka Sir Paul. Et de Let it be dans un 2e temps. On se discipline comme on peut. La vérité c'est que j'ai d'abord commencé à écrire sur Let it be. Une performance très émouvante de cette chanson par 2 candidates de La Voix il y a quelques semaines ( c’est à cause de mes filles, je vous jure ) m'avait donné envie de parler de sa genèse, de son côté mystique et de comment elle révélait un tas de trucs sur Paul et l'image des Beatles en général, mais j'ai vite bifurqué sur un sujet qui passe souvent sous le radar quand on parle de McCartney, à savoir le nombre impressionnant de timbres et de registres qu'il peut reproduire. Mine de rien, sa voix nous est tellement familière qu'on dirait qu'on ne s'étonne même pas qu'il soit capable de la faire sonner de manières aussi différentes. Ce trait a beau être au cœur du répertoire le + prisé du siècle dernier, on ne le relève pas souvent, comme s'il allait de soi. Ce n'est pourtant pas une faculté qui est très commune quand on y pense. Prenons la voix de Lennon. Justement, c'est LA voix de John. Unique, reconnaissable entre 1000. Mais Lennon n'a pas, et c'est le cas de la plupart des chanteurs - pensez à Bono, Lady Gaga, Serge Fiori, Beth Gibbons, Kendrick Lamar ou Léo Ferré, name it - différentes voix... À part le vieillissement ou l'usure qui viennent parfois changer le grain, ajouter des basses et enlever des hautes, comme chez Cohen par exemple, rares sont les chanteurs qui ont plusieurs voix à leur portée, et qui peuvent passer de l'une à l'autre sur un même disque avec autant d'aisance.  

Avant de continuer sur ce point, j'aimerais mettre une chose au clair. Contrairement à ce que plusieurs autour de moi peuvent penser, je n'idolâtre pas Paul McCartney. J'en ai pour preuve qu'à part Jenny Wren,  Fine line ou l'imbuvable Freedom, j'aurais du mal à vous fredonner une de ses compositions des 20 dernières années. Et j'ignore pourquoi mais je le trouve plutôt mauvais quand il donne des entrevues. Je ne connais pas non plus Wings - quel nom poche! - tant que ça, y'a au moins 3 ou 4 albums de leur cru que je n'ai jamais entendu, bien que j'écoute encore à l'occasion Band on the Run ou Venus and Mars. Ceci étant dit, pour plein de raisons que je ne prendrai pas ici la peine d'énumérer, il restera à jamais mon musicien préféré. Il s'avère aussi que son album Ram, sorti en 1971 - son 2e après qu'il ait quitté les Beatles - est le disque que j'ai le + écouté dans ma vie. Et c'est probablement l'album sur lequel il s'est le + éclaté, vocalement parlant... En fait, on sent qu'il s'amuse, avec le ton toujours juste, comme saurait le faire un bon acteur qui doit incarner différents rôles. C'est un trait que possède bien entendu les imitateurs comme André-Philippe Gagnon, à la différence que McCartney n'imite personne autre que lui-même et qu'il utilise la grande étendue que lui permet son organe vocal pour mieux servir l'émotion, l'intention qui anime la chanson. À cet égard, on notera qu'en général, McCartney est un chanteur plutôt sobre. Eleonor Rigby en est le parfait exemple. On y parle d'enterrement et de solitude avec un ton très neutre, presque détaché. Et s'il chante la plupart du temps sans nous en mettre plein les oreilles, on peut dire qu'on est servi quand il s'y met. Et ce, dans les 2 extrêmes. Y aller délicatement avec une voix de tête en falsetto comme dans Here, there and everywhere, I will ou l'inchantable So bad? Aucun problème. Hurler comme un fou furieux dans Helter Skelter, Oh! Darling ou Monkberry Moon Delight ? Why not. Ce qui en passant, n'est pas tout à fait la même chose que lorsqu'il emploie son «high pitch razor tone» comme dans Maybe I'm amazed ou Oh Woman Oh Why, une autre impossible à chanter et qu'on retrouvait en face B de l'excellente Just Another day. Il y aussi cette voix mid, + dense, métallique même, qu'il prend dans Why don't we do it in the roadMagical Mystery Tour , Lady Madonna, ou quand il harmonise avec John dans Come together, I'm so tired ou I want you. Même chose quand il vient à la rescousse de George dans While my guitar gently weeps. Sans oublier la granuleuse à souhait qu'on peut entendre dans Sgt Pepper ou She's a woman... Ou la nasillarde de 1985 , un de mes highlights du concert sur les Plaines en 2008... 

 

En même temps, sa voix de base, celle qui sort... naturellement, comme dans Penny Lane, I'll follow the Sun (une autre mémorable du concert de 2008) ou Let 'em in, est somme toute ordinaire, banale à la limite quand on la compare à d'autres chanteurs qui ont marqué l'histoire du rock..! Et cette capacité qu'il a de pouvoir chanter haut sans que ça ne paraisse, et sans qu'il n'ait besoin de forcer ou pousser. Le son des Beatles repose en partie sur cette capacité qu'il a de pouvoir faire des harmonies dans un registre aussi élevé. On a qu'à écouter In my Life ou If I fell pour s'en convaincre. Et essayez de le suivre quand il chante le 2e Let it be dans le refrain de la chanson du même nom et vous pourrez constater, du moins si vous êtes un homme, à quel point c'est difficile, à moins de passer en voix de tête. Mais lui, ça sort tout seul, comme si il avait une voix intermédiaire entre sa voix de tête et sa voix "normale"... 

Voilà, sachez-le; en plus d'être un compositeur, instrumentiste et arrangeur hors-pair, Paul McCartney est un chanteur-caméléon-magicien qui peut faire ce qu'il veut avec sa voix... Ok. enough said, je poursuivrai avec Let it be dans un prochain billet, avec au menu Mother Mary, lsd, mysticisme et John vs Paul, tout ça à travers le prisme de cette chanson, certes 1000 fois entendue, mais en même temps méconnue...

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