#4 Philip K. Dick ( ou comment je suis devenu un Blade Runner )

Je vous ai raconté quelques-uns de mes rêves dans le carnet précédent, ce n'est donc peut-être pas un hasard si j'ai en ce moment dans les mains un livre de Philip K Dick, un auteur de science-fiction qui nous a beaucoup parlé de ses rêves. Il en a mis d'étonnants en scène dans ce qu'on appellera + tard sa "trilogie divine". Je dis rêve mais dans les années 1970, Dick a vécu d'étranges expériences mystiques qu'il relate dans son roman V.A.L.I.S.   ( SIVA en français ), un espèce de roman auto-fictif-mystico-politique qui ne ressemble à rien. Son éditeur avait refusé de publier son récit précédent, connu aujourd'hui sous le titre de Radio Libre Albemuth, ce qui explique en partie pourquoi les 2 récits partagent des personages et des situations similaires. Je viens de le commencer et c'est plutôt fascinant étant donné le contexte actuel. Voici comment il décrit l'ascension au pouvoir de Ferris F. Freemont, un président américain fictif :

"Freemont fut étroitement lié aux manoeuvres soviétiques à l'intérieur des États-Unis, il fut soutenu par les intérêts soviétique et sa stratégie fut mise au point par les planificateurs soviétiques : tout ceci, bien qu'encore sujet à controverses, n'en reste pas moins un fait. Les Soviétiques le soutinrent, la droite le soutint...".

C'est de la prescience en 'ta quand on pense qu'en 1974, les État-Unis et l'Union soviétique sont en pleine Guerre Froide. On a un peu oublié à quel point la menace semblait réelle. Même jeune enfant, j'étais conscient que les Russes étaient nos ennemis, en raison des nouvelles que nous écoutions sur l'heure du souper et des manchettes des journaux. Un peu + tard, dans les années '80, Chom FM faisait constamment jouer Russians de Sting dans laquelle il se demandait si les Russes aimaient aussi leurs enfants... Bref, imaginer que la droite américaine puisse être du même côté que les Russes en 1974 ne faisait aucun sens. Ajoutez à cela un président qui devient un tyran dans un pays où la constitution est sacrée et où ses auteurs se sont fait un devoir d'établir un gouvernement qui rende impossible la prise du pouvoir par un tyran, et vous avez là une histoire de politique-fiction vraiment tirée par les cheveux pour l'époque. Je suis pas entrain de dire que Dick décrit ce qui s'est passé avec Trump pour autant, mais quand même, on ne peut s'empêcher de faire des parallèles. Mais l'a-t-il juste imaginé ou réellement pressenti..? Dick lui-même affirmait qu'il ne faisait qu'écrire des rapports sur la réalité, telle qu'il la percevait vraiment. J'en parle dans le premier carnet, c'est un livre d'Emmanuel Carrère, Le Royaume, qui m'a donné l'idée pour ce blogue. Lui même admet, si je me souviens bien, que La moustache, le roman qui l'a mis sur la mappe ( du moins au Québec ), c'est du Dick tout craché. On ne se surprendra donc pas qu'il lui ait consacré une biographie. Et que j'aie un faible pour les 2.

Il n'y a pas longtemps, on m'a donné The Exegis of Philip k. Dick, une brique posthume de 900 pages dans laquelle on trouve les notes que Dick a pris en 1974 alors qu'il était en transe et transcrivait l'information que ce qu'il appelait V.A.L.I.S. lui transmettait via, entre autres, un rayon de couleur rose! Et ça ne s'arrête pas là, V.A.L.I.S. - qui signifie Vast Active Living Intelligence System - lui aurait aussi indiqué que son fils souffrait d’une hernie inguinale. Ce mal, difficile à détecter, s'avère mortel s'il n'est pas traité à temps. N'eut été de l'insistance de Dick, les médecins n'auraient jamais pu guérir et sauver son fils. V.A.L.I.S. lui aurait également transmis le don de glossolalie, c'est-à-dire la capacité de parler et comprendre une langue auparavant inconnue. Après avoir fait des recherches, Dick et sa compagne ont découvert qu'il s'agissait du koinè, un dialecte grec couramment parlé au temps de l'Empire romain et de Jésus-Christ...

On s'en doutera, son exégèse est quelque chose d'assez ardu à lire. Mais on peut voir d'où vient la matière brute dont Dick s'est inspiré pour écrire sa trilogie divine, surtout V.A.L.I.S. et L'invasion Divine qui, on le réalise en lisant The Exegis, sont des récits romancés de ce qu'il a entrevu durant ses transes. Il faudrait posséder la même érudition que lui pour être capable de le suivre pleinement, ce qui n'est pas près de m'arriver. On y trouve aussi des lettres adressées à ses amis et connaissances et dans lesquelles il expose ses vues sur la nature de l'Univers (un hologramme selon Dick), sur Dieu et sur la signification des mythes, symboles et ouvrages récents et anciens. Ça donne une bible assez opaque merci.

Tout le contraire du dernier livre qu'il a écrit, La transmigration de Timothy Archer, mon roman préféré. Pas juste de K Dick. D'entre tous les livres que j'ai lus, je ne peux que constater que c'est celui-là qui m'a le + marqué. Paradoxalement, c'est l'un des rares à se passer ( presque ) normalement dans le présent. Rien à voir avec la majorité des films de science-fiction que son oeuvre a inspiré*. L'histoire tourne autour d'un fait réel et d'un personnage qu'il connaissait bien, James Pike, évêque épiscopalien de Los Angeles, trouvé mort dans le désert de Judée alors qu'il tentait de trouver le mystérieux "anoki" dont il est question dans certains manuscrits de la Mer Morte.  Il s'y était perdu avec sa Jeep et une bouteille de Coca-Cola. L'anoki, selon John Allegro, un historien anglais, était une sorte de champignon magique et Allegro avait échangé à ce sujet avec Pike. Jésus, toujours selon son hypothèse, en aurait fait le trafic et c'est la raison pour laquelle il aurait été exécuté ! Mais bien qu'il s'agisse là d'un personnage et d'un événement qui soient au coeur du roman, on passerait à côté de l'essentiel si on n'en disait que cela. Même chose pour les communications paranormales dont l'évêque, qui s'appelle Timothy Archer dans le récit, est témoin et dont il est convaincu qu'elles sont des manifestations de l'esprit de Jeff, son fils qui s'est récemment suicidé. Vous me suivez toujours? Ici aussi, on pourrait dire que la mort du père et du fils sont secondaires en regard de l'histoire. Le roman a plutôt comme personnage central Angel, l'épouse de Jeff Archer. C'est elle qui nous raconte comment sont morts son mari et son beau-père. On la suit alors qu'elle tente de trouver un sens à tout ça. Ça commence le jour de la mort John Lennon, ce qui n'est pas pour arranger les choses, d'autant + qu'Angel souffre d'une rage de dent, rage qui n'est pas étrangère à ma chanson du même nom pour ceux que ça intéresserait... Dick ici, pour une rare fois, n'a pas besoin de jouer avec la réalité et l'espace-temps pour nous causer philosophie et métaphysique. Et ça marche plutôt bien. On dirait qu'il en découle une profondeur psychologique à laquelle il ne nous avait pas habitué. Une œuvre à part, presque poignante, quand on la compare avec ses autres romans. Si jamais Denis Villeneuve décide un jour de prend sa "revanche" sur Dick ( j'aurais tellement voulu aimer Blade Runner 2049... ), c'est avec ce livre qu'il devrait s'y attaquer. En mode film d'auteur. Pourquoi pas une adaptation québécoise, en français, avec un petit budget (comparé à ceux d'Hollywood), un genre de retour aux sources..? Ce scénario - autant le livre que le retour aux sources - lui siérait bien il me semble.

On ne peut s'empêcher d'éprouver de l'empathie pour Philip K. Dick quand on sait qu'il n'aura pas connaissance de son succès, du moins pas de l'ampleur qu'il atteindra grâce aux adaptions futures de ses romans au cinéma. Il est mort en 1982 mais avait quand même pu visionner certaines scènes de Blade Runner qui l'avaient parait-il enchanté. Je n'ai aussi pu m'empêcher de penser à lui lorsqu'est sorti l'histoire des bots et des faux-comptes Facebook que des agents russes ont créés par milliers afin d'essayer d'influencer l'opinion publique américaine lors de l'élection de 2016. J'ai évoqué dans les autres carnets que je perds parfois mon temps à faire le troll sur Fox News. Je ne sais pas ce qui me prend, ça devient plus fort que moi, parfois je dois aller me mêler de ce qui ne me regarde pas. Et ce faisant, à chaque fois qu'un internaute répond à l'un de mes commentaires, je me sens un peu comme Deckard dans Blade Runner : " Croit-il vraiment qu'il soit raisonnable que des armes pouvant tirer autant de balles à la minute soient en vente chez Walmart?? Ou s'agit-il plutôt d'un bot russe qui trouve son compte à répéter ce que le premier pense..? " Alors on va vérifier. On traque. Et quand il arrive que le profil qui émet ce genre de commentaire n'a pas de photo et aucun ami, on se dit que c'est la 2e option qui l'emporte... Presque comme un vrai Blade Runner..! 


P.S. : J'ai terminé le livre. Un drôle d'objet, un peu décousu, mais qui finit par retrouver sa vigueur vers la fin. Une fin ouverte étrangement optimiste malgré le fait que Freemont continue d'élargir son pouvoir en contrôlant de plus en plus les médias... Il a retravaillé la même histoire pour son roman V.A.L.I.S. et qui était un peu plus réussi il me semble... 

 

* dont Total Recall, Blade Runner et Minority Report

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