#5 Les yeux de Jane

Je me souviens de la date parce que c'était le jour de l'anniversaire de ma sœur. Le 27 février dernier, j'ai croisé une fille avec 2 grands yeux tristes. Et encore une fois, je me suis demandé si c'était l'oeuf ou le poulpe... Peut-être que son humeur n'y était pour rien, qu'on décèlera toujours de la tristesse dans son regard, simplement parce que ses yeux sont ainsi faits. Un peu comme un basset, vous savez ces chiens pour qui ça n'a jamais l'air facile? Mais je ne sais pas pourquoi, la brève seconde où nos regards se sont croisés m'a laissé l'impression d'un brouillard qui n'arrive plus à se dissiper, et dont elle-même ne saurait dire d'où il vient si on lui demandait. Comme s'il s'était installé graduellement, au fur et à mesure que l'ennui des jours ordinaires avait laissé ses marques... Ce qui m'a rappelé Jane dans Famous Blue Raincoat: 

« And thanks for the trouble you took from her eyes 

I thought it was there for good 

So I never tried » 

Les 3 phrases les plus belles de la musique pop je pense. Et quelle chanson! Je vous la raconterez pas, faut l'écouter si vous la connaissez pas. Et si vous la connaissez, ça vaut vraiment la peine d'aller jeter une oreille sur cette version live, jouée devant une petite audience d'un studio de télé. Ça se passe en 'ta. 

Il fut une époque où Cohen n'était pas un sujet d'exposition, encore moins de murale. J'ai su vaguement de quoi il avait l'air au début des années '80 en raison d'une cassette qu'on trouvait souvent en réduction dans les bacs chez Discus. Mais j'avais beau relire son nom et les titres de ses chansons, ça ne me disait absolument rien. Ce n'est qu'une fois rendu au cégep, grâce à la radio étudiante, que j'ai entendu ses chansons pour la 1ère fois. Et je ne comprenais pas pourquoi personne ne m'avait parlé de ce MONTRÉALAIS avant!! Comment d'aussi belles chansons avaient pu échapper aussi longtemps à mon attention? 

De tout son répertoire, Famous Blue Raincoat a longtemps été ma préférée. Tragique à souhait, avec des accents bibliques - «my brother my killer» - la trame narrative de la chanson nous transporte au cœur d'un triangle amoureux où, on finit par le comprendre vers la fin, le mari a accepté son triste sort. Il va jusqu'à remercier son frère que Jane n'ait plus le regard embué par la mélancolie (the trouble), même si c'est le charme de son frère qui a opéré cette transformation. Ouch!! Non seulement il lui a pardonné mais il l'informe que son «enemy is sleeping and his woman is free». Il aimera probablement toujours Jane et c'est parce qu'il l'aime qu'il accepte qu'elle soit heureuse sans lui... On peut dire, paradoxalement, que c'est quand même l'amour qui triomphe même si le couple n'en sort pas indemne. Une grande chanson...
 

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