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#25 Variations sur le vide : 5 bonnes raisons pour le ressortir 

Raison #1 : C’est pas mal bon 

Et c’est pas moi qui le dit. Selon les archives dans lesquelles je me suis replongées dernièrement, y’a entre autres Francis Hébert du Voir qui raconte que « Fortier sait mieux que quiconque en nos terres composer de grandes chansons pop ». On va se le dire, il exagère un peu, mais bon, ça se prend quand même bien. 

Sinon à la défunte émission Bande à Part, on avait parlé de « textes d’une sensibilité à faire frémir, une voix caressante, assez de mélodies pour nous faire fredonner à répétition… ». Toujours sur la radio d’état, Alain Brunet avait affirmé à l’émission matinale de Marie-France Bazzo que Variations sur le vide était « Un de meilleurs disques d’auteur-compositeur-interprète masculin de l’année 2005. Très McCartney au sens de la mélodie et du type d’arrangement ». Oui oui. 

Je citerai pas tout mon dossier de presse, vous en avez déjà une bonne idée. J’aimerais par contre souligner que Sylvain Cormier a jamais rien écrit à mon sujet. Il avait peut-être pas apprécié que j’aille porter mon disque directement dans sa boite aux lettres. Comme aucun label avait voulu me signer à l’époque, je me débrouillais comme je le pouvais. C’était un gars à Radio-Can qui m’avait conseillé de le faire, il m’avait même donné son adresse. Je me souviens pu qui c’était mais je me rappelle qu’il était très enthousiaste. Un peu trop peut-être… 

Mais je me plains pas - je serais mal placé - surtout que peu de temps après, Isabelle Porter allait justement écrire dans les pages du Devoir que « Cet album-là est plein de perles… Une fille pour l’été a la perfection des classiques… ». C’était il y a 15 ans et à lire le courrier des lecteurs du Devoir ces temps-ci, pas sûr qu’ils seraient nécessairement tous d’accord avec cette affirmation concernant Une fille pour l’été. Certains ne manqueraient pas d’y voir une chanson qui fait l’apologie du patriarcat. Et que le choix des instruments, notamment le banjo et la mandoline, rappelle un peu trop la musique des rednecks suprémacistes. Ce à quoi je répondrais que comme mes filles fréquentent l’été un rock camp où sont acceptées seulement des filles, des trans ou des personnes non-genrées, ça s’annule. 

Raison #2 : Il est plus disponible 

On a beau chialer contre les Spotify et Apple Music de ce monde, j’aime quand même mieux qu’on puisse avoir accès à aux chansons de Variations sur le vide que pas pentoute. Mais comme j’ai toujours trouvé qu’il sonnait un peu trop boomy, Jean-Sébastien, mon partenaire dans Le Bleu du Feu, va le remasteriser. Et corriger 2-3 trucs qui m’ont toujours achalé… C’est d’ailleurs grâce à lui si on le ressort. Il revenait sur l’idée de temps à autres l’automne dernier, sans que cela ne suscite chez moi trop d’enthousiasme - on travaillait sur des compos récentes et je me disais que ça nous retarderait - , jusqu’à ce que je réalise durant les Fêtes que ça fera 15 ans cette année qu’il est sorti et que 15 ans, ça donne un beau chiffre rond pour ce genre de projet. 

Raison #3 :  J’ai une chanson inédite 

J’avais décidé de pas l’inclure à l’époque parce que le 3e couplet m’énervait, j’aimais pas les paroles. Elles clashaient trop avec le propos général, propos qui m’échappait il faut le dire. Mais maintenant que je sais de quoi cette chanson parle, j’ai pu la compléter comme il se doit avec un 15 ans d'intervalle. Ça s'appelle Une place et j'ai bien hâte de vous la faire entendre.

Raison #4 : Le vinyle est revenu en force*

J’en ai magasinés pour donner en cadeau à Noël à mon neveu et je me suis dit que ça serait bien d’avoir Variations sur le vide avec une belle grosse pochette en carton comme dans l’bon vieux temps. Et comme j’avais clairement pas choisi le meilleur cliché à l’époque parmi les photos que mon amie Claudine avait prises, je vais en profiter pour rectifier la chose; le cover sera donc un peu différent. Je serai aussi en mesure de réaliser l’idée initiale que j’avais en tête. Je voulais une pochette qui évoquerait l’esprit Verve/Blue Note fin ’50 début ’60. J’avais manqué ma shot à l'époque mais je pense bien pouvoir me reprendre cette fois-ci. J’ai l’air un peu fendant sur la nouvelle photo mais ça me dérange pas, je pourrai dire que j’étais jeune et con. Ce qui est pas faux comme vous pourrez le voir au prochain point. Aussi, de le sortir en vinyle m’a amené à repenser l’ordre des chansons. De les aligner sur 2 faces distinctes en a fait un meilleur album je pense, ça coule mieux. Reste juste à m’acheter un table tournante maintenant. 

Raison #5 : J’en profiterais pour répondre comme du monde… 

… à Michel Rivard. Ça fait 15 ans que je me sens mal. Le disque était venu à ses oreilles et non seulement il avait beaucoup aimé, il avait pris la peine de m’écrire un courriel pour me le signifier. Voulant être à la hauteur de son message, j’avais commencé à lui répondre… avec beaucoup trop de sollicitude. J’étais tellement têteux que j’ai arrêté, me disant que les mots justes me viendraient le lendemain. Puis le surlendemain. Puis la semaine d’après. Faut dire que c’était pas la période la plus straight de ma vie… et pour une raison que j’ignore encore à ce jour, j’ai jamais su répondre comme du monde. Alors Michel, sache que je te remercie pour ton mot, et que même si ça fait 15 ans, il me fait toujours chaud au coeur. Et désolé pour mon silence. Des fois, j’ai juste pas d’allure. 

 

*Étant donné les circonstances, la sortie vinyle est repoussée. Je vous aviserai quand je pourrai le lancer dans une vraie salle avec du vrai monde, comme dans l'temps...

#22 Une nouvelle sorte de musique  

La raison pour laquelle je suis musicien a beaucoup à voir avec cette veillée passée dans un petit shack sur le bord d'un lac durant l'été de mes 14 ans. Le fils d'un ami de mon père avait sorti sa 12 cordes et nous avions chanté toute la soirée. Bien que nous écoutions souvent de la musique à la maison et que mon père aimait beaucoup chanter - ce qu'il faisait très bien, bien mieux que moi! - je n'avais jamais entendu d'aussi proche avant ce soir-là un musicien jouer de son instrument, d'une manière aussi naturelle et ludique; il avait carrément fait lever la place. L'atmosphère était électrique, tout le monde s'époumonait, faisait des harmonies et lâchait son fou. Ça avait été magique. Je me souviens d'avoir été particulièrement frappé par l'effet que provoquait l'arrêt d'une chanson lorsque le guitariste ne se souvenait plus d'un accord et le cherchait. Le temps s'arrêtait, littéralement. Je me souviens aussi d'avoir fortement ressenti que la musique était quelque chose qui faisait du sens, qui dévoilait une vérité, évidente et à la fois cachée, mais dont l'essence touchait à... l'essentiel, comme si la musique transportait au delà de ses sons et de ses mélodies un secret ineffable. Bref, son mystérieux et puissant pouvoir m'avait ensorcelé. Je me rappelle que c'est après cette soirée-là, le lendemain sur la route en revenant du chalet que j'ai demandé à mon père si je pouvais avoir une guitare.

 

Ça a peut-être à voir avec le fait que je n’ai pas de cell mais j’ai très mal négocié le virage numérique. Et ce n’est pas le musicien qui parle ici mais le fan de musique. Quand on a quitté notre appartement dans Villeray pour acheter un condo dans Rosemont il y a 7 ans de cela, je me suis départi de tous mes cds. Pour gagner de l’espace, j’avais décidé de les transférer dans mon Mac croyant que cela ne ferait aucun différence. Mais ça en fit toute une : j’ai pratiquement arrêter d’écouter de la musique. Et Dieu qu’elle m’a manqué. J’ai consigné quelque part la suite d’événements heureux et improbables que le début de l’année m’a réservée - 2019 a vraiment commencé en lion ! - mais je réalise que j’avais oublié dans ma liste le retour de la musique. Je me suis mis tout simplement à racheter des cds. Au diable la dépense - au moins ils ne sont plus rendus chers - le retour sur l’investissement en vaut largement la chandelle, ne serait-ce que pour l’envie de danser et de chanter que la musique me procure à nouveau, ou tout simplement la joie que son écoute attentive m'apporte. Mais c’est aussi d’en faire, en jouant « live » avec un groupe - un gros groupe, une chorale de 60 personnes - qui m’a pour ainsi dire reconnecté avec son étonnant pouvoir. 

J’ai exploré dans ce carnet quelques-unes des raisons qui expliqueraient le pouvoir de la musique, pouvoir qui je crois repose en grande partie sur le fait que la musique sait susciter non seulement de l’émotion mais aussi, tel que mentionné en introduction, du sens … et cela sans qu’aucun mot n’ait besoin d’être prononcé il va sans dire. La musique est un étrange carrefour dans lequel vibrent d’apaisantes et réjouissantes harmonies, comme si le divin - appelons ici divin la "chose"  immanente et incréée qui fait qu’il y a bel et bien quelque chose au lieu de rien, et qu'on puisse en plus le constater, et en parler. On s'est habitué mais c'est pas banal pour autant... - donc comme si le divin arrivait à se manifester malgré notre entendement limité et notre incapacité à comprendre pleinement d’où nous venons vraiment. La musique agirait ainsi comme un phare, un signal qui émanerait à partir de simples vibrations, organisées selon des principes mathématiques simples - rythmiques et harmoniques - et qui nous transmettraient quelque chose d’intelligible, d’esthétique et de bel et bien réel malgré son caractère évanescent, tel un récit duquel on ne saurait dire exactement ce qu'il a exprimé mais dont on ne pourrait nier le déroulement et l’émotion qu’il suscite.

Avec plus d'envergure, on peut entendre dans le vidéo ci-dessus un prfesseur de psychologie, Jordan Peterson, résumer parfaitement l’essence de ce que j’essaye d'exprimer. Et s’il est aujourd’hui connu pour d’autres raisons, c’est bien parce que je cherchais à entendre ce que d’autres personnes avaient à dire sur cette hypothèse - si je me souviens bien, j'avais tapé les mots "meaning of music" pour lancer ma recherche - que je suis tombé pour la première fois sur lui. Je prends le temps de le mentionner car on aime beaucoup caricaturer sa pensée et on aurait tort de penser que par conséquent il ne dit rien de censé... La démonstration qu'il fait du caractère transcendantal de la musique - transcendantal  en ce sens que le langage n'est pas capable de rendre réellement compte de la manière dont nous ressentons l'expérience musicale - sa démonstration est très éloquente je trouve. Mais bon, ce n’est pas tant de cela que j’aimerais causer que des transformations qu’a subies la façon dont nous produisons, écoutons et consommons la musique, et du possible lien qu’il y a à faire avec ce que j’ai énoncé en introduction.

On le répète beaucoup, l'industrie musicale est en crise. Et cela fait plusieurs années que cette idée me taraude : et si c’était la musique elle-même qui en avait marre du star-system, de sa confiscation par l’industrie et qui aspirerait à revenir à quelque chose de plus global, intégral, inclusif, de plus direct..? Rassurez-vous, je ne dis pas que la musique ait conscience de quoi que ce soit mais comme n'importe quel système qui se constitue, le potentialité de son anti-thèse n'a d'autres choix que de devenir une possibilité. Autrement dit, notre relation avec la musique n'a pas besoin de rester la même. Lorsqu’on demeure strictement spectateur ou auditeur, aussi plaisante soit-elle, cette expérience n’atteint pas le potentiel optimal qui pourrait advenir si celui qui écoute devenait également un performer, prenait part au spectacle et devenait pourquoi pas co-créateur d’une oeuvre en devenir ? En d’autres mots, pourquoi ne pas abolir la frontière entre la scène et le spectateur, pourquoi ne pas transformer l’auditoire et les musiciens en un seul et même band ? J'adore travailler avec mon ordi et en studio, jouer de la guitare, de la basse, du clavier, chanter, trouver des arrangements ; bref tout le processus et la collaboration qui vient avec. Mais cette façon de travailler la musique est pour moi d'une nature très différente que ce que je propose ici. Cela fait maintenant plusieurs années que je jam avec des amis, et cette idée est d'abord née du plaisir d'être connecté plus directement à la musique, d'une manière plus spontanée, dans une posture un peu plus groovy et moins mélancolique que mes propositions chansonnières précédentes.

À la manière d’un processus évolutif, je suis convaincu que depuis les années 1950, l’engouement, pour ne pas dire l’ensorcellement, provoqué par la musique chez la jeunesse et la population en général a eu pour effet de développer et améliorer l’oreille d’un nombre significatif d’individus qui, à force d’écouter et de chanter les chansons préférées des artistes qu’ils aiment, ont fini par atteindre un standard fort respectable. J’en ai pour preuve la chorale que j’accompagne à chaque semaine et qui réussit à la fin de chaque soirée à monter à l'oreille et sans partition un arrangement vocal à 3 voix ( 3 harmonies différentes ; basse, alto et soprano ) avec une qualité impressionnante et ce, même si la majorité chantait en groupe pour la première fois de leur vie. Et tous sont unanimes, le plaisir ressenti, le bien-être qui en découle est immensément bénéfique. Normal, nous vibrons littéralement tous en harmonie. C’est là un des grands pouvoirs de la musique qui, lorsqu’expérimenté simultanément en grand nombre, amène une joie réelle et palpable, qui unifie et laisse derrière tous ce qui pourrait nous diviser. Il y a là je crois un véritable potentiel thérapeutique, libérateur qui reste à exploiter et explorer et dont la nécessité est plus que jamais pertinente étant donné la drôle d’époque qui s’est amorcée avec la révolution numérique et ses réseaux sociaux et les effets divisifs que cela entraine. Et je ne parle pas ici de reprendre en choeur des vieux succès - ce que j'adore faire avec Choeur de Loups - mais plutôt d’improviser, sous la direction d’un chef de choeur, des motifs mélodiques et de les superposer sur des riffs que joueront des musiciens. Ces derniers auront des blocs musicaux déterminés mais dont la durée et l’intensité varieront et sur lesquels divers improvisateurs - cuivres, guitares, claviers, accordéons, name it… - pourront avec le choeur y aller d’une envolée et se joindre aux voix qui se mêleront.

Bien sûr, cela ressemble aux cercles de chant ( circle songs ) qu’anime Bobby McFerrin, à la différence qu’ici, tout le monde est convié, pas besoin de préalablement faire partie d’une chorale ou de prétendre savoir chanter. Aussi, il n'y aurait pour ainsi dire aucun spectateur, tous seraient invités à participer.  L’accompagnement par une section rythmique et harmonique viendrait aussi varier, épicer un peu plus la formule de McFerrin qui, à ce que j’en sache, reste essentiellement vocale. 

Se sortir de la société du spectacle, s’affranchir de la relation auditeur/performer, jouer différemment avec la musique, essayer d'y insuffler un nouveau sens, voilà quelques-uns des impacts que cette façon de jouer ensemble pourrait amener, en plus d’abolir - le temps d’une, 5 ou 12 « chansons » - nos différences, et ce faisant, se sortir du virtuel, communier un peu + dans le réel.

#21 On s'habitue 

Premier extrait d’un E.P. qui sortira à l’automne, On s’habitue est une vieille chanson, composée probablement en 2004 alors que l’enregistrement et le mix de mon album Variations sur le Vide était pour ainsi dire terminé. Je me souviens qu’elle m’était venue plutôt facilement, suite à une dispute que j’avais eu avec ma blonde qu’on entend d’ailleurs chanter avec moi sur la chanson. Ce n’est plus le cas aujourd’hui mais à l’époque Marie-Josée pouvait piquer des crises de jalousie qui ne rendaient pas toujours facile notre cohabitation. De là avait surgi le « on s’habitue » - ça n’était pas sa première crise - et le « mais jamais tout à fait à nous » du refrain qui faisait référence au fait que malgré que cet élan de jalousie soit irraisonné, il était plus fort qu’elle, elle n’arrivait pas à le retenir…

  Je l’ai reprise en 2011 - avec un nouveau bridge et une fin différente - mais la direction générale qu’avait suggéré mon réalisateur à l’époque l’avait un peu dénaturé. Faut dire aussi l’album s’était fait dans un contexte qui devenait de plus en plus tendu, et que j’avais fini par rapatrié les pistes sur mon ordi et décidé de terminé seul le projet avec le logiciel Garage Band que je ne maitrisais pas très bien à l'époque. L’aventure m’avait lentement mais sûrement dissuadé de continuer à enregistrer d,autres chansons, jusqu’à ce que mon ancien coloc, le batteur Marc Chartrain, me sorte de ma tanière et m’invite au studio B-12 pour enregistrer J’abandonne et 2 autres pièces qui finiront par aboutir sur un E.P. sorti en 2018 avec le label L-A Be. À moins d’être un abonné de Sirius ou un auditeur des émissions musicales de Radio-Canada, vous n’aurez pas entendu grand-chose de ce E.P. J’ignorais moi-même qu’elles avaient tourné à ce point sur ces chaines et de l’apprendre a encouragé mon ami et partenaire Jean-Sébastien Brault-Labbé à me prêter main forte et m’épauler dans l’enregistrement d’un 2e E.P. prévu pour cet automne. Sur Le Bleu du Feu, notre propre label à part de ça ; )

Certains se rappelleront peut-être que j'avais dit que je tirais la plogue sur la chanson. C'est plus tout à fait le cas comme on peut le voir mais j'ai d'autres projets en gestation, dont celui de transformer l'audience et les musiciens en un seul gros band où tout le monde participerait. La mise sur pied de la chorale Choeur de Loups que ma blonde dirige depuis l'automne 2018 et que j'accompagne à la guitare - une chorale sans partition où tout l'monde est bienvenu - me confirme que mon projet n'est pas si fou que cela même s'il implique une grande part d'improvisation. On s'en reparle..! Bonne écoute d'ici-là!

#12 L'affaire avec la musique (et l'infâme Jordan Peterson)  

"I'd heard there was a secret chord 
That David played and it pleased the Lord 
But you don't really care for music, do you?"

                                       - Leonard Cohen

 

J'avoue éprouver une certaine nostalgie lorsque je me rappelle l'heure du souper alors que j'étais encore un enfant, ou plus précisément un pré-adolescent. Je ne sais pas si ma mémoire enjolive mes souvenirs mais j'ai l'impression que c'était un moment où l'on prenait vraiment le temps d'échanger en famille. Nous étions loin d'être bourgeois - mes parents tenaient un dépanneur - mais selon les standards de la rue où j'habitais, nous mangions tard, à 18h, en même temps que commençait le téléjournal de Radio-Canada que nous écoutions religieusement. J'ai l'air de me contredire en disant que c'était un moment où nous échangions mais d'écouter le téléjournal en soupant nous donnait plein de sujets de conversation qui s'ajoutaient aux anecdotes qui s'étaient passées durant la journée. Souvent le repas s'étirait au-delà du téléjournal et nous prenions le dessert en buvant du thé - avec beaucoup de lait et beaucoup de sucre dans mon cas - tout en continuant de regarder l'émission qui succédait aux nouvelles. Je me souviens d'Avis de Recherche, une émission animée par le très moustachu Gaston L'Heureux pendant laquelle il présentait d'anciens camarades de classe à une vedette de l'heure qui, on l'espérait, allait se remémorer des anecdotes cocasses. Il me revient une fois en particulier où Guy Lafleur était l'invité et il ne semblait pas se rappeler de grand chose ni de grand monde. Et lorsqu'il arrivait à mettre un nom sur un visage qui lui disait vaguement quelque chose, son ton monocorde pouvait laisser penser qu'il s'en crissait un peu... La gêne probablement. Je me rappelle aussi d'une fois où l'invité de la semaine - que je ne connaissais pas à l'époque, le chanteur Sylvain Lelièvre* - avait dit quelque chose qui m'avait laissé perplexe et pantois : « La musique, c'est des mathématiques dans l'fond... ». Quoi!? C'était impossible car j'adorais la musique et détestait les mathématiques. Et pourtant...

Elle est tellement omniprésente qu'on en fait pas grand cas mais la musique est vraiment un phénomène unique quand on y pense. Et en tant qu'être humain ayant été fasciné assez tôt par la musique, j'ose affirmer que j'en connais quand même un peu sur le sujet. Il va s'en dire que son pouvoir d'attraction est immense, universel, immédiat, et que son enjouement, sa beauté et son intelligibilité - se fondant simultanément les uns dans les autres - font de la musique un des rares plaisirs qui ne s'érode pas avec l'âge. Pour toutes ces raisons, j'aime penser que la musique n'est rien de moins qu'une manifestation divine. Je ne parle évidemment pas ici d'un dieu barbu omniscient et moralisateur mais plutôt d'un principe organisateur et transcendant (ce qui donne le joli acronyme P.O.E.T. ..! ) à partir duquel la musique dériverait, émanerait comme un écho. Car au-delà de l'aspect physique, vibratoire du son lui-même, la musique produit du sens et suscite de l'émotion d'une manière qu'il est très difficile d'expliquer car cela dépasse justement le langage. Mais il n'en demeure pas moins que la musique nous parle. Et c'est pourquoi elle nous captive autant. Je suis resté quelques années au-dessus d'une petite garderie familiale et il était fascinant de voir des bambins sachant à peine marcher se tenir après la clôture et se déhancher instinctivement avec le gros sourire sur la musique que la gardienne faisait jouer quotidiennement. Depuis, j'aime dire aux élèves à qui j'enseigne la guitare et qui s'interrogent à savoir s'ils «ont» le rythme, que oui ils l'ont, mais qu'il arrive que certaines personnes le perdent, s'en déconnectent avec le temps, en quel cas il est possible de le retrouver, en autant qu'on pratique (en tapant du pied avec un métronome). Tout est rythme quand on y pense. Notre cœur qui bat, les atomes qui vibrent, la Terre qui tourne ; sur elle-même et autour du soleil, le cycle des saisons et les fêtes qui y sont associées, etc. Il y a donc là une part d'explication, je crois, au sens qui se trouve dans la musique. L'aspect rythmique de la musique nous relie à l'infini grand comme à l'infini petit, bref à tout ce qui nous entoure et que l'on contient. Aussi, à partir du moment qu'elle se fait entendre, la musique devient un marqueur du temps. Elle l'épouse, le colore, le rend «visible», ou plutôt audible, et ce faisant le suspend, comme si elle arrivait à se substituer au temps lui-même... 

Mais cela n'est pas dû seulement qu'au rythme, l'harmonie participe aussi à l'entreprise. Que des sons, des notes jouées simultanément par un ou plusieurs instruments puissent faire office d'intro, de couplet ou de refrain, puissent suggérer une sorte de récit, c'est aussi cela je crois qui ne cesse de nous étonner comme auditeur. Inutile d'entrer dans les explications théoriques qui détailleraient pourquoi une chanson qui commence sur tel ou tel accord contiendra dans une grande proportion cette suite d'accord plutôt qu'une autre. Mais que l'harmonisation des notes et des sons soient porteur d'une logique, d'un sens, d'une émotion, d'un esthétisme - tout ça à la fois - est une chose remarquable en soi. Certains s'objecteront en disant qu'il s'agit simplement de conditionnement culturel mais je ne vois pas en quoi cela réfute quoi que ce soit. Toute entreprise humaine est par définition culturelle, surtout lorsqu'il s'agit de disciplines artistiques. Que des patterns finissent par émerger et se répéter n'a rien de surprenant. Et qu'ils diffèrent et ne pointent pas pas tous dans la même direction selon la partie du globe où ils émergent n'a pas de quoi nous étonner non plus. Le phénomène reste le même; la musique transmet un sens qui, s'il peut varier selon les individus et les régions d'où elle provient, n'en est pas moins réel pour autant dans l'instant où elle se déploie. Et à ceux qui répondraient qu'on ne peut se fier sur une expérience subjective telle l'émotion que nous ressentons à l'écoute d'une pièce musicale pour évoquer le réel, qu'il faudrait s'en tenir à des critères uniquement objectif pour ce faire, je répondrais qu'il ne saurait y avoir d'objectif sans subjectif...  

Il s'avère qu'autant pour ce que je viens d'évoquer à l'instant, que pour l'aspect transcendant de la musique, je trouve un allié en la personne du controversé professeur de psychologie de l'Université de Toronto, Jordan Peterson. Pour ceux qui ne le connaisse pas, Jordan Peterson est le nouveau darling de la droite nord-américaine. Il s'est fait connaître d'abord par son opposition à un projet de loi qui exposait à une amende un professeur qui refuserait d'appeler par un pronom non genré (ze au lieu de he ou she) un étudiant qui en aurait fait la demande. Bien qu'il soit disposé à le faire dans sa pratique, il s'insurgeait du fait qu'une loi puisse l'obliger à utiliser certains mots, voyant en cela comme un dangereux précédent. Sa popularité a par après bondi de façon exponentielle à la suite de la diffusion d'une émission d'affaire publique britannique, devenue virale depuis, pendant laquelle l'intervieweuse essayait de lui faire dire toutes sortes de choses à l'aide de questions tendancieuses qu'il réfutait calmement et avec éloquence. Décontenancée, elle s'avoua même vaincue après que Peterson lui ait fait valoir que la poursuite de la vérité ne pouvait se faire sans prendre le risque d'offenser son interlocuteur, chose qu'elle-même ne se gênait pas de faire depuis le début de l'entretien... Avant même de tomber sur cette entrevue, j'avais visionné par hasard un de ses vidéos où il explique rapidement ses vues sur la musique (à partir de 4:25). J'avais d'ailleurs posté un lien sur mon profil FB tellement j'étais content de trouver quelqu'un qui avait les mêmes vues que moi sur ce sujet. Il ne se cache pas non plus d'avoir vécu des expériences mystiques. Bref, ne soyez pas surpris si j'y fais référence. Le fait qu'il soit devenu l'idole d'une certaine droite raciste, misogyne et homophobe - qui manifestement entend seulement ce qu'elle veut entendre et que Peterson condamne - n'entache en rien, du moins si je me fie à ce ce que j'ai pu entendre, l'originalité de ses vues sur le concept de Dieu et les archétypes qui en découlent. Ce vidéo sur le sens de la musique est même plus éloquent que ce que j'ai pu écrire + haut. J'en conviens, c'est très ressemblant mais bon, je vous jure, je pensais pareil avant!


Ça fait longtemps que j'ai fait la paix avec ce qu'avait dit Sylvain Lelièvre. Les mathématiques, autant à travers le rythme que l'harmonie, sont effectivement au coeur de la musique. Et elles sont aussi au coeur d'un autre débat, celui-là beaucoup plus questionnant: Les mathématiques sont-elles l'invention de l'homme ou sont-elles plutôt inhérentes à la nature, au cosmos? Pas facile d'y répondre. Chacun ses préjugés... 

 

 

* À moins que ce ne soit l'émission Star d'un soir..?

 

 

 

#11 Depuis quand le bruit des feuilles mortes dans la nuit porte-t-il à conséquence ?  

En dépit de ce qu'indiquait le thermomètre, l'air était étonnamment supportable, presque agréable, comme si l'excès de froidure avait eu pour effet de contenir le froid lui-même. Ça tombait bien car de l'air, j'en avais besoin. L'apéro avait commencé à m'affecter sournoisement et mon sang réclamait des bouffées d'oxygène que l'intérieur du petit chalet chauffé au bois n'arrivait plus à me fournir. Dehors la lune avait commencé son ascension dans le ciel dégagé et la forêt, figée par le froid sec et intense, ne laissait échapper aucun son. Il n'y avait que le craquement de mes pas qui résonnait à mesure que j'avançais sur la surface dure et enneigée de l'étroit chemin que je montais lentement. Me retournant, je m'arrêtai avant d'atteindre le sommet de la petite côte pour m'amuser un peu, en essayant de me tenir immobile sur la pointe des pieds. Le jeu consistait à trouver le point d'équilibre qui permettrait à mon corps de se maintenir sans effort à la verticale grâce à l'inclinaison de la pente. Après 2 ou 3 tentatives, je parvins à me stabiliser dans la position qui nécessitait le minimum de résistance au niveau des cuisses, des chevilles et des orteils; juste ce qu'il fallait pour me donner l'impression d'être en apesanteur. Le froid me faisait manifestement du bien, je sentais déjà se dissiper graduellement l'inconfort qui avait motivé ma petite escapade. Satisfait de constater que mes sens reprenaient le dessus, je savourais pleinement le moment lorsqu'un coup de vent se leva et attira mon attention sur les feuilles mortes d'un chêne qui n'étaient toujours pas tombées. Ce qui aurait dû rester un banal bruissement sans conséquence - depuis quand le bruit des feuilles mortes dans la nuit porte-t-il à conséquence? - marqua le début d'une étrange aventure. Alors qu'il atteignit mon oreille, le chuintement répété du feuillage fané qui s'agitait et résistait comme il le pouvait à la soudaine bourrasque brisa non seulement le silence polaire qui régnait tout autour, il démantela contre toute attente la frontière qui se dresse habituellement entre ma personne, la vôtre et le reste du monde..! Ébahi, toujours en équilibre sur le bout de mes orteils, je me laissai emporter dans la brèche qui venait de s'ouvrir quelque part entre mon être, l'espace et le temps. Bonsoir l'éternité, ça faisait un bout...     

J'avais lu déjà sur le phénomène. J'ai justement sous la main Derniers écrits au bord du vide de Daisetz Teitaro Suzuki, un maitre zen qui influença entre autres Alan Watts et à qui Kerouac a déjà demandé s'il pouvait tout abandonner pour le suivre. Il fut l'un des premiers Japonnais à venir enseigner le zen - une variation nipponne du bouddhisme - aux États-Unis. Il aborde souvent dans ce recueil ce qu'il appelle l'abolition entre le sujet et l'objet. Je le cite: 

« ...l'effort moral ne peut jamais nous faire pénétrer dans le royaume spirituel. Lorsque nous sommes sur le plan spirituel, la vie morale coule de source, mais la discipline morale et l'intellection ne vous amèneront jamais à la vie spirituelle. Il faut transcender la division sujet-objet de l'existence. » 

Bien qu'elle soit souvent mentionnée dans les ouvrages de sagesse orientale, cette expérience est universelle et plus commune qu'on pourrait le penser. Il demeure toutefois difficile d'expliquer avec des mots ce qui se passe une fois qu'est transcendée la dite division sujet-objet car il n'existe pas de point de comparaison. Un peu comme s'il fallait décrire ce qu'est la couleur orange à un aveugle de naissance; c'est embêtant car aucune analogie n'est possible. L'entendement à travers lequel s'opère la perception – extérieure comme intérieure, il n'y a plus de différence - se fait sur un mode à la fois inconnu, et paradoxalement très intime, très naturel. Comme si notre conscience ne se limitait plus à notre corps, qu'elle ne s'identifiait plus à notre seule personne, et qu'elle s'étendait et s'unissait à tout ce qui était autour, nous transformant par le fait même en un spectateur omniscient d'une pièce intemporelle dont on serait également l'acteur et le théâtre..! Je ne crois pas me tromper en disant que c'est le genre d'union que la pratique du yoga vise et encourage. Aussi ce serait - si j'ai bien compris - l'état perpétuel dans lequel un être éveillé arriverait à se maintenir. Il n'y a plus de « je » pour interpréter, imaginer, convaincre, désespérer, impressionner ou angoisser – la liste est longue – sur quoi que ce soit. Il ne reste que la perception pure et directe d'un sujet sans objet. Dit autrement, la séparation entre le soi et le reste du monde - l'une des causes, sinon LA cause du dualisme inhérent à notre condition habituelle - n'a plus cours, d'où l'impossibilité du langage à rendre compte adéquatement de l'expérience. Le haut se conçoit parce qu'il y a le bas, la gauche parce qu'il y a la droite ou le beau parce qu'il y a le laid. Essayez d'imaginer maintenant un mode autre où les contraires seraient vidés de leurs attributs parce qu'il n'y a plus de distance, plus de contraste, entre celui qui perçoit, l'acte même de percevoir et ce qui est perçu. Je sais, c'est très difficile à concevoir car notre intellect, étant lui-même en partie le fruit d'un processus linguistique - et par conséquent dualiste - n'a pas la capacité de s'en extraire et ainsi accéder à ce qui est non-duel. C'est pourquoi D.T. Suzuki insiste plus haut pour dire que l'intellection ne peut pas mener à la vie spirituelle. Le « Heureux les pauvres en esprit car le royaume des cieux est à eux » que l'on retrouve dans l'évangile doit être compris, je pense, avec le même... esprit.  

Je cite l'évangile mais si ça peut vous rassurer, je vais aussi vous citer le début de Spiritualise-toi, une chanson que j'avais écrite au début de ma vingtaine avec mon band d'alors, Les Moutons Noirs

«Depuis qu'on a crissé le p'tit Jésus à 'porte, de ton âme, de ton coeur, t'as comme un vide à l'intérieur..."

Avec l'arrogance propre au jeune adulte que j'étais, j'exprimais mon cynisme et mon désabusement sur les courants new-age et orientaux qui servaient de substitut à la religion catholique pour les faibles d'esprit qui n'arrivaient pas à se réconcilier avec l'idée de la mort, avec l'idée qu'il y ait un point final à toute l'affaire. Le cas était donc clos, nul besoin de chercher plus loin; la spiritualité, peu importe sa forme, était un reliquat archaïque que le progrès et la science finiraient par éradiquer dans un futur plus ou moins proche. Quant à la mort, il fallait bien en revenir bien un jour... Je ne me souviens plus exactement comment je suis arrivé à m'intéresser au bouddhisme mais je me rappelle d'avoir été frappé par le contraste grandissant qui ne cessait de se creuser entre l'idée que je m'étais fait de cette religion et ce que j'apprenais au fil de mes lectures. Ce que je croyais être une doctrine jovialiste s'appuyant sur la pensée positive était au contraire un enseignement rigoureux, basé sur des observations et des techniques précises à partir desquelles on devait pouvoir expérimenter soi-même les mérites et les bienfaits de notre pratique. L'athée en moi était plutôt déstabilisé. Une religion sans déité dont les préceptes devaient se vérifier empiriquement, ce n'était certainement pas ce à quoi je m'attendais. Il y avait le concept de réincarnation qui continuait à poser problème mais celui-ci, à ma grande surprise, était le résultat d'un échec - l'incapacité à accéder au nirvana - plutôt qu'un but en soi... C'était à n'y rien comprendre. Mais au moins, la foi dont on devait faire preuve pour avancer s'ancrait dans une certaine rationalité. Le Bouddha lui-même nous demandait de ne pas prendre pour du cash ce qu'il affirmait; nous devions nous même valider par la pratique ce qu'il prodiguait. 

Même si la plupart des enseignements spirituels nous mettent en garde contre l'intellection – non pas, comme on aime à penser, pour des fins de manipulation mais bien parce que la nature même de l'intellect empêche l'accès à une vision non-duelle de la réalité – n'allez pas croire que j'ai dépassé ce stade pour autant. Malgré les expériences que j'ai eu la chance de vivre, je reste à ce jour un mystique du dimanche... Mais la tenue de ce blogue a définitivement rallumé en moi le désir de progresser sur ce plan et d'aller au-delà de la seule lecture. Aussi, l'extension momentanée du domaine de ma conscience qui s'est produit lors du dernier réveillon - le kensho (?) relaté en introduction - y a fortement contribué. Paradoxalement, cela m'a fait comprendre un peu mieux que le sujet principal de l'une de mes dernières chansons, J'abandonne, concernait justement l'abandon de ma quête spirituelle... J'ai toujours été ambivalent face à la finale pendant laquelle un choeur insiste pour dire : « Ben non tu peux pas, ben non tu peux pas ». Je suis content de l'avoir gardé car effectivement, ça ne sera pas le cas... 

Ma blonde de l'époque connaissait ce regard, ce regard qui s'installe lorsqu'il m'arrive ce genre de chose. « Tu viens de vivre un moment ? » qu'elle me demanda discrètement une fois que je revins à l'intérieur du chalet pour m'asseoir à la table avec nos hôtes. Pas que ça arrive souvent mais faut croire que ça laisse des marques. Ce que je venais de vivre n'avait toutefois rien à voir - ni en durée, ni en intensité - avec la fois où elle arriva du travail pour me trouver couché sur le lit, en pleine extase les bras en croix, pleurant comme une fontaine en raison du trop plein d'amour, de sens et de miséricorde qui m'avait englouti un certain après-midi de l'été 2004. Y'a des jours vraiment pas comme les autres... J'ajouterai en terminant cet onzième carnet que le tableau concernant ma dernière expérience ne serait pas complet si je continuais de taire un détail qui ne cadre généralement pas avec les récits de ce genre. L'absence de séparation entre ma personne et le reste du monde me rendit certes béat, joyeux et léger, mais l'unicité perçue et ressentie qui avait relégué je ne sais où ma conscience ordinaire était en même temps une expérience très terrestre, très groundée; j'avais une de ces érections...

 

#6 Les voix de Paul 

Même si je l'ai évoqué dans le carnet #1, le titre du billet ne réfère pas aux voix qu'entendait Paul de Tarse, aka Saint Paul. Non le carnet de cette semaine parlera d'un autre Paul - presque aussi influent -, Paul de Liverpool, aka Sir Paul. Et de Let it be dans un 2e temps. On se discipline comme on peut. La vérité c'est que j'ai d'abord commencé à écrire sur Let it be. Une performance très émouvante de cette chanson par 2 candidates de La Voix il y a quelques semaines ( c’est à cause de mes filles, je vous jure ) m'avait donné envie de parler de sa genèse, de son côté mystique et de comment elle révélait un tas de trucs sur Paul et l'image des Beatles en général, mais j'ai vite bifurqué sur un sujet qui passe souvent sous le radar quand on parle de McCartney, à savoir le nombre impressionnant de timbres et de registres qu'il peut reproduire. Mine de rien, sa voix nous est tellement familière qu'on dirait qu'on ne s'étonne même pas qu'il soit capable de la faire sonner de manières aussi différentes. Ce trait a beau être au cœur du répertoire le + prisé du siècle dernier, on ne le relève pas souvent, comme s'il allait de soi. Ce n'est pourtant pas une faculté qui est très commune quand on y pense. Prenons la voix de Lennon. Justement, c'est LA voix de John. Unique, reconnaissable entre 1000. Mais Lennon n'a pas, et c'est le cas de la plupart des chanteurs - pensez à Bono, Lady Gaga, Serge Fiori, Beth Gibbons, Kendrick Lamar ou Léo Ferré, name it - différentes voix... À part le vieillissement ou l'usure qui viennent parfois changer le grain, ajouter des basses et enlever des hautes, comme chez Cohen par exemple, rares sont les chanteurs qui ont plusieurs voix à leur portée, et qui peuvent passer de l'une à l'autre sur un même disque avec autant d'aisance.  

Avant de continuer sur ce point, j'aimerais mettre une chose au clair. Contrairement à ce que plusieurs autour de moi peuvent penser, je n'idolâtre pas Paul McCartney. J'en ai pour preuve qu'à part Jenny Wren,  Fine line ou l'imbuvable Freedom, j'aurais du mal à vous fredonner une de ses compositions des 20 dernières années. Et j'ignore pourquoi mais je le trouve plutôt mauvais quand il donne des entrevues. Je ne connais pas non plus Wings - quel nom poche! - tant que ça, y'a au moins 3 ou 4 albums de leur cru que je n'ai jamais entendu, bien que j'écoute encore à l'occasion Band on the Run ou Venus and Mars. Ceci étant dit, pour plein de raisons que je ne prendrai pas ici la peine d'énumérer, il restera à jamais mon musicien préféré. Il s'avère aussi que son album Ram, sorti en 1971 - son 2e après qu'il ait quitté les Beatles - est le disque que j'ai le + écouté dans ma vie. Et c'est probablement l'album sur lequel il s'est le + éclaté, vocalement parlant... En fait, on sent qu'il s'amuse, avec le ton toujours juste, comme saurait le faire un bon acteur qui doit incarner différents rôles. C'est un trait que possède bien entendu les imitateurs comme André-Philippe Gagnon, à la différence que McCartney n'imite personne autre que lui-même et qu'il utilise la grande étendue que lui permet son organe vocal pour mieux servir l'émotion, l'intention qui anime la chanson. À cet égard, on notera qu'en général, McCartney est un chanteur plutôt sobre. Eleonor Rigby en est le parfait exemple. On y parle d'enterrement et de solitude avec un ton très neutre, presque détaché. Et s'il chante la plupart du temps sans nous en mettre plein les oreilles, on peut dire qu'on est servi quand il s'y met. Et ce, dans les 2 extrêmes. Y aller délicatement avec une voix de tête en falsetto comme dans Here, there and everywhere, I will ou l'inchantable So bad? Aucun problème. Hurler comme un fou furieux dans Helter Skelter, Oh! Darling ou Monkberry Moon Delight ? Why not. Ce qui en passant, n'est pas tout à fait la même chose que lorsqu'il emploie son «high pitch razor tone» comme dans Maybe I'm amazed ou Oh Woman Oh Why, une autre impossible à chanter et qu'on retrouvait en face B de l'excellente Just Another day. Il y aussi cette voix mid, + dense, métallique même, qu'il prend dans Why don't we do it in the roadMagical Mystery Tour , Lady Madonna, ou quand il harmonise avec John dans Come together, I'm so tired ou I want you. Même chose quand il vient à la rescousse de George dans While my guitar gently weeps. Sans oublier la granuleuse à souhait qu'on peut entendre dans Sgt Pepper ou She's a woman... Ou la nasillarde de 1985 , un de mes highlights du concert sur les Plaines en 2008... 

 

En même temps, sa voix de base, celle qui sort... naturellement, comme dans Penny Lane, I'll follow the Sun (une autre mémorable du concert de 2008) ou Let 'em in, est somme toute ordinaire, banale à la limite quand on la compare à d'autres chanteurs qui ont marqué l'histoire du rock..! Et cette capacité qu'il a de pouvoir chanter haut sans que ça ne paraisse, et sans qu'il n'ait besoin de forcer ou pousser. Le son des Beatles repose en partie sur cette capacité qu'il a de pouvoir faire des harmonies dans un registre aussi élevé. On a qu'à écouter In my Life ou If I fell pour s'en convaincre. Et essayez de le suivre quand il chante le 2e Let it be dans le refrain de la chanson du même nom et vous pourrez constater, du moins si vous êtes un homme, à quel point c'est difficile, à moins de passer en voix de tête. Mais lui, ça sort tout seul, comme si il avait une voix intermédiaire entre sa voix de tête et sa voix "normale"... 

Voilà, sachez-le; en plus d'être un compositeur, instrumentiste et arrangeur hors-pair, Paul McCartney est un chanteur-caméléon-magicien qui peut faire ce qu'il veut avec sa voix... Ok. enough said, je poursuivrai avec Let it be dans un prochain billet, avec au menu Mother Mary, lsd, mysticisme et John vs Paul, tout ça à travers le prisme de cette chanson, certes 1000 fois entendue, mais en même temps méconnue...

#5 Les yeux de Jane 

Je me souviens de la date parce que c'était le jour de l'anniversaire de ma sœur. Le 27 février dernier, j'ai croisé une fille avec 2 grands yeux tristes. Et encore une fois, je me suis demandé si c'était l'oeuf ou le poulpe... Peut-être que son humeur n'y était pour rien, qu'on décèlera toujours de la tristesse dans son regard, simplement parce que ses yeux sont ainsi faits. Un peu comme un basset, vous savez ces chiens pour qui ça n'a jamais l'air facile? Mais je ne sais pas pourquoi, la brève seconde où nos regards se sont croisés m'a laissé l'impression d'un brouillard qui n'arrive plus à se dissiper, et dont elle-même ne saurait dire d'où il vient si on lui demandait. Comme s'il s'était installé graduellement, au fur et à mesure que l'ennui des jours ordinaires avait laissé ses marques... Ce qui m'a rappelé Jane dans Famous Blue Raincoat: 

« And thanks for the trouble you took from her eyes 

I thought it was there for good 

So I never tried » 

Les 3 phrases les plus belles de la musique pop je pense. Et quelle chanson! Je vous la raconterez pas, faut l'écouter si vous la connaissez pas. Et si vous la connaissez, ça vaut vraiment la peine d'aller jeter une oreille sur cette version live, jouée devant une petite audience d'un studio de télé. Ça se passe en 'ta. 

Il fut une époque où Cohen n'était pas un sujet d'exposition, encore moins de murale. J'ai su vaguement de quoi il avait l'air au début des années '80 en raison d'une cassette qu'on trouvait souvent en réduction dans les bacs chez Discus. Mais j'avais beau relire son nom et les titres de ses chansons, ça ne me disait absolument rien. Ce n'est qu'une fois rendu au cégep, grâce à la radio étudiante, que j'ai entendu ses chansons pour la 1ère fois. Et je ne comprenais pas pourquoi personne ne m'avait parlé de ce MONTRÉALAIS avant!! Comment d'aussi belles chansons avaient pu échapper aussi longtemps à mon attention? 

De tout son répertoire, Famous Blue Raincoat a longtemps été ma préférée. Tragique à souhait, avec des accents bibliques - «my brother my killer» - la trame narrative de la chanson nous transporte au cœur d'un triangle amoureux où, on finit par le comprendre vers la fin, le mari a accepté son triste sort. Il va jusqu'à remercier son frère que Jane n'ait plus le regard embué par la mélancolie (the trouble), même si c'est le charme de son frère qui a opéré cette transformation. Ouch!! Non seulement il lui a pardonné mais il l'informe que son «enemy is sleeping and his woman is free». Il aimera probablement toujours Jane et c'est parce qu'il l'aime qu'il accepte qu'elle soit heureuse sans lui... On peut dire, paradoxalement, que c'est quand même l'amour qui triomphe même si le couple n'en sort pas indemne. Une grande chanson...