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#25 Variations sur le vide : 5 bonnes raisons pour le ressortir 

Raison #1 : C’est pas mal bon 

Et c’est pas moi qui le dit. Selon les archives dans lesquelles je me suis replongées dernièrement, y’a entre autres Francis Hébert du Voir qui raconte que « Fortier sait mieux que quiconque en nos terres composer de grandes chansons pop ». On va se le dire, il exagère un peu, mais bon, ça se prend quand même bien. 

Sinon à la défunte émission Bande à Part, on avait parlé de « textes d’une sensibilité à faire frémir, une voix caressante, assez de mélodies pour nous faire fredonner à répétition… ». Toujours sur la radio d’état, Alain Brunet avait affirmé à l’émission matinale de Marie-France Bazzo que Variations sur le vide était « Un de meilleurs disques d’auteur-compositeur-interprète masculin de l’année 2005. Très McCartney au sens de la mélodie et du type d’arrangement ». Oui oui. 

Je citerai pas tout mon dossier de presse, vous en avez déjà une bonne idée. J’aimerais par contre souligner que Sylvain Cormier a jamais rien écrit à mon sujet. Il avait peut-être pas apprécié que j’aille porter mon disque directement dans sa boite aux lettres. Comme aucun label avait voulu me signer à l’époque, je me débrouillais comme je le pouvais. C’était un gars à Radio-Can qui m’avait conseillé de le faire, il m’avait même donné son adresse. Je me souviens pu qui c’était mais je me rappelle qu’il était très enthousiaste. Un peu trop peut-être… 

Mais je me plains pas - je serais mal placé - surtout que peu de temps après, Isabelle Porter allait justement écrire dans les pages du Devoir que « Cet album-là est plein de perles… Une fille pour l’été a la perfection des classiques… ». C’était il y a 15 ans et à lire le courrier des lecteurs du Devoir ces temps-ci, pas sûr qu’ils seraient nécessairement tous d’accord avec cette affirmation concernant Une fille pour l’été. Certains ne manqueraient pas d’y voir une chanson qui fait l’apologie du patriarcat. Et que le choix des instruments, notamment le banjo et la mandoline, rappelle un peu trop la musique des rednecks suprémacistes. Ce à quoi je répondrais que comme mes filles fréquentent l’été un rock camp où sont acceptées seulement des filles, des trans ou des personnes non-genrées, ça s’annule. 

Raison #2 : Il est plus disponible 

On a beau chialer contre les Spotify et Apple Music de ce monde, j’aime quand même mieux qu’on puisse avoir accès à aux chansons de Variations sur le vide que pas pentoute. Mais comme j’ai toujours trouvé qu’il sonnait un peu trop boomy, Jean-Sébastien, mon partenaire dans Le Bleu du Feu, va le remasteriser. Et corriger 2-3 trucs qui m’ont toujours achalé… C’est d’ailleurs grâce à lui si on le ressort. Il revenait sur l’idée de temps à autres l’automne dernier, sans que cela ne suscite chez moi trop d’enthousiasme - on travaillait sur des compos récentes et je me disais que ça nous retarderait - , jusqu’à ce que je réalise durant les Fêtes que ça fera 15 ans cette année qu’il est sorti et que 15 ans, ça donne un beau chiffre rond pour ce genre de projet. 

Raison #3 :  J’ai une chanson inédite 

J’avais décidé de pas l’inclure à l’époque parce que le 3e couplet m’énervait, j’aimais pas les paroles. Elles clashaient trop avec le propos général, propos qui m’échappait il faut le dire. Mais maintenant que je sais de quoi cette chanson parle, j’ai pu la compléter comme il se doit avec un 15 ans d'intervalle. Ça s'appelle Une place et j'ai bien hâte de vous la faire entendre.

Raison #4 : Le vinyle est revenu en force*

J’en ai magasinés pour donner en cadeau à Noël à mon neveu et je me suis dit que ça serait bien d’avoir Variations sur le vide avec une belle grosse pochette en carton comme dans l’bon vieux temps. Et comme j’avais clairement pas choisi le meilleur cliché à l’époque parmi les photos que mon amie Claudine avait prises, je vais en profiter pour rectifier la chose; le cover sera donc un peu différent. Je serai aussi en mesure de réaliser l’idée initiale que j’avais en tête. Je voulais une pochette qui évoquerait l’esprit Verve/Blue Note fin ’50 début ’60. J’avais manqué ma shot à l'époque mais je pense bien pouvoir me reprendre cette fois-ci. J’ai l’air un peu fendant sur la nouvelle photo mais ça me dérange pas, je pourrai dire que j’étais jeune et con. Ce qui est pas faux comme vous pourrez le voir au prochain point. Aussi, de le sortir en vinyle m’a amené à repenser l’ordre des chansons. De les aligner sur 2 faces distinctes en a fait un meilleur album je pense, ça coule mieux. Reste juste à m’acheter un table tournante maintenant. 

Raison #5 : J’en profiterais pour répondre comme du monde… 

… à Michel Rivard. Ça fait 15 ans que je me sens mal. Le disque était venu à ses oreilles et non seulement il avait beaucoup aimé, il avait pris la peine de m’écrire un courriel pour me le signifier. Voulant être à la hauteur de son message, j’avais commencé à lui répondre… avec beaucoup trop de sollicitude. J’étais tellement têteux que j’ai arrêté, me disant que les mots justes me viendraient le lendemain. Puis le surlendemain. Puis la semaine d’après. Faut dire que c’était pas la période la plus straight de ma vie… et pour une raison que j’ignore encore à ce jour, j’ai jamais su répondre comme du monde. Alors Michel, sache que je te remercie pour ton mot, et que même si ça fait 15 ans, il me fait toujours chaud au coeur. Et désolé pour mon silence. Des fois, j’ai juste pas d’allure. 

 

*Étant donné les circonstances, la sortie vinyle est repoussée. Je vous aviserai quand je pourrai le lancer dans une vraie salle avec du vrai monde, comme dans l'temps...

#12 L'affaire avec la musique (et l'infâme Jordan Peterson)  

"I'd heard there was a secret chord 
That David played and it pleased the Lord 
But you don't really care for music, do you?"

                                       - Leonard Cohen

 

J'avoue éprouver une certaine nostalgie lorsque je me rappelle l'heure du souper alors que j'étais encore un enfant, ou plus précisément un pré-adolescent. Je ne sais pas si ma mémoire enjolive mes souvenirs mais j'ai l'impression que c'était un moment où l'on prenait vraiment le temps d'échanger en famille. Nous étions loin d'être bourgeois - mes parents tenaient un dépanneur - mais selon les standards de la rue où j'habitais, nous mangions tard, à 18h, en même temps que commençait le téléjournal de Radio-Canada que nous écoutions religieusement. J'ai l'air de me contredire en disant que c'était un moment où nous échangions mais d'écouter le téléjournal en soupant nous donnait plein de sujets de conversation qui s'ajoutaient aux anecdotes qui s'étaient passées durant la journée. Souvent le repas s'étirait au-delà du téléjournal et nous prenions le dessert en buvant du thé - avec beaucoup de lait et beaucoup de sucre dans mon cas - tout en continuant de regarder l'émission qui succédait aux nouvelles. Je me souviens d'Avis de Recherche, une émission animée par le très moustachu Gaston L'Heureux pendant laquelle il présentait d'anciens camarades de classe à une vedette de l'heure qui, on l'espérait, allait se remémorer des anecdotes cocasses. Il me revient une fois en particulier où Guy Lafleur était l'invité et il ne semblait pas se rappeler de grand chose ni de grand monde. Et lorsqu'il arrivait à mettre un nom sur un visage qui lui disait vaguement quelque chose, son ton monocorde pouvait laisser penser qu'il s'en crissait un peu... La gêne probablement. Je me rappelle aussi d'une fois où l'invité de la semaine - que je ne connaissais pas à l'époque, le chanteur Sylvain Lelièvre* - avait dit quelque chose qui m'avait laissé perplexe et pantois : « La musique, c'est des mathématiques dans l'fond... ». Quoi!? C'était impossible car j'adorais la musique et détestait les mathématiques. Et pourtant...

Elle est tellement omniprésente qu'on en fait pas grand cas mais la musique est vraiment un phénomène unique quand on y pense. Et en tant qu'être humain ayant été fasciné assez tôt par la musique, j'ose affirmer que j'en connais quand même un peu sur le sujet. Il va s'en dire que son pouvoir d'attraction est immense, universel, immédiat, et que son enjouement, sa beauté et son intelligibilité - se fondant simultanément les uns dans les autres - font de la musique un des rares plaisirs qui ne s'érode pas avec l'âge. Pour toutes ces raisons, j'aime penser que la musique n'est rien de moins qu'une manifestation divine. Je ne parle évidemment pas ici d'un dieu barbu omniscient et moralisateur mais plutôt d'un principe organisateur et transcendant (ce qui donne le joli acronyme P.O.E.T. ..! ) à partir duquel la musique dériverait, émanerait comme un écho. Car au-delà de l'aspect physique, vibratoire du son lui-même, la musique produit du sens et suscite de l'émotion d'une manière qu'il est très difficile d'expliquer car cela dépasse justement le langage. Mais il n'en demeure pas moins que la musique nous parle. Et c'est pourquoi elle nous captive autant. Je suis resté quelques années au-dessus d'une petite garderie familiale et il était fascinant de voir des bambins sachant à peine marcher se tenir après la clôture et se déhancher instinctivement avec le gros sourire sur la musique que la gardienne faisait jouer quotidiennement. Depuis, j'aime dire aux élèves à qui j'enseigne la guitare et qui s'interrogent à savoir s'ils «ont» le rythme, que oui ils l'ont, mais qu'il arrive que certaines personnes le perdent, s'en déconnectent avec le temps, en quel cas il est possible de le retrouver, en autant qu'on pratique (en tapant du pied avec un métronome). Tout est rythme quand on y pense. Notre cœur qui bat, les atomes qui vibrent, la Terre qui tourne ; sur elle-même et autour du soleil, le cycle des saisons et les fêtes qui y sont associées, etc. Il y a donc là une part d'explication, je crois, au sens qui se trouve dans la musique. L'aspect rythmique de la musique nous relie à l'infini grand comme à l'infini petit, bref à tout ce qui nous entoure et que l'on contient. Aussi, à partir du moment qu'elle se fait entendre, la musique devient un marqueur du temps. Elle l'épouse, le colore, le rend «visible», ou plutôt audible, et ce faisant le suspend, comme si elle arrivait à se substituer au temps lui-même... 

Mais cela n'est pas dû seulement qu'au rythme, l'harmonie participe aussi à l'entreprise. Que des sons, des notes jouées simultanément par un ou plusieurs instruments puissent faire office d'intro, de couplet ou de refrain, puissent suggérer une sorte de récit, c'est aussi cela je crois qui ne cesse de nous étonner comme auditeur. Inutile d'entrer dans les explications théoriques qui détailleraient pourquoi une chanson qui commence sur tel ou tel accord contiendra dans une grande proportion cette suite d'accord plutôt qu'une autre. Mais que l'harmonisation des notes et des sons soient porteur d'une logique, d'un sens, d'une émotion, d'un esthétisme - tout ça à la fois - est une chose remarquable en soi. Certains s'objecteront en disant qu'il s'agit simplement de conditionnement culturel mais je ne vois pas en quoi cela réfute quoi que ce soit. Toute entreprise humaine est par définition culturelle, surtout lorsqu'il s'agit de disciplines artistiques. Que des patterns finissent par émerger et se répéter n'a rien de surprenant. Et qu'ils diffèrent et ne pointent pas pas tous dans la même direction selon la partie du globe où ils émergent n'a pas de quoi nous étonner non plus. Le phénomène reste le même; la musique transmet un sens qui, s'il peut varier selon les individus et les régions d'où elle provient, n'en est pas moins réel pour autant dans l'instant où elle se déploie. Et à ceux qui répondraient qu'on ne peut se fier sur une expérience subjective telle l'émotion que nous ressentons à l'écoute d'une pièce musicale pour évoquer le réel, qu'il faudrait s'en tenir à des critères uniquement objectif pour ce faire, je répondrais qu'il ne saurait y avoir d'objectif sans subjectif...  

Il s'avère qu'autant pour ce que je viens d'évoquer à l'instant, que pour l'aspect transcendant de la musique, je trouve un allié en la personne du controversé professeur de psychologie de l'Université de Toronto, Jordan Peterson. Pour ceux qui ne le connaisse pas, Jordan Peterson est le nouveau darling de la droite nord-américaine. Il s'est fait connaître d'abord par son opposition à un projet de loi qui exposait à une amende un professeur qui refuserait d'appeler par un pronom non genré (ze au lieu de he ou she) un étudiant qui en aurait fait la demande. Bien qu'il soit disposé à le faire dans sa pratique, il s'insurgeait du fait qu'une loi puisse l'obliger à utiliser certains mots, voyant en cela comme un dangereux précédent. Sa popularité a par après bondi de façon exponentielle à la suite de la diffusion d'une émission d'affaire publique britannique, devenue virale depuis, pendant laquelle l'intervieweuse essayait de lui faire dire toutes sortes de choses à l'aide de questions tendancieuses qu'il réfutait calmement et avec éloquence. Décontenancée, elle s'avoua même vaincue après que Peterson lui ait fait valoir que la poursuite de la vérité ne pouvait se faire sans prendre le risque d'offenser son interlocuteur, chose qu'elle-même ne se gênait pas de faire depuis le début de l'entretien... Avant même de tomber sur cette entrevue, j'avais visionné par hasard un de ses vidéos où il explique rapidement ses vues sur la musique (à partir de 4:25). J'avais d'ailleurs posté un lien sur mon profil FB tellement j'étais content de trouver quelqu'un qui avait les mêmes vues que moi sur ce sujet. Il ne se cache pas non plus d'avoir vécu des expériences mystiques. Bref, ne soyez pas surpris si j'y fais référence. Le fait qu'il soit devenu l'idole d'une certaine droite raciste, misogyne et homophobe - qui manifestement entend seulement ce qu'elle veut entendre et que Peterson condamne - n'entache en rien, du moins si je me fie à ce ce que j'ai pu entendre, l'originalité de ses vues sur le concept de Dieu et les archétypes qui en découlent. Ce vidéo sur le sens de la musique est même plus éloquent que ce que j'ai pu écrire + haut. J'en conviens, c'est très ressemblant mais bon, je vous jure, je pensais pareil avant!


Ça fait longtemps que j'ai fait la paix avec ce qu'avait dit Sylvain Lelièvre. Les mathématiques, autant à travers le rythme que l'harmonie, sont effectivement au coeur de la musique. Et elles sont aussi au coeur d'un autre débat, celui-là beaucoup plus questionnant: Les mathématiques sont-elles l'invention de l'homme ou sont-elles plutôt inhérentes à la nature, au cosmos? Pas facile d'y répondre. Chacun ses préjugés... 

 

 

* À moins que ce ne soit l'émission Star d'un soir..?

 

 

 

#7 Jésus le film, de Chardin et le ( relatif ) déficit d'empathie de Patrick Lagacé  

Comme beaucoup de Canadiens français de mon âge, mon enfance a été marqué par une éducation somme toute assez religieuse si je la compare avec celle que reçoivent mes enfants. Ça n'avait rien à voir avec ce qu'avaient vécu auparavant mes parents mais on peut dire que ma génération - je suis né en 1970 - a assisté aux derniers soubresauts de la religion catholique romaine au Québec. Comme on le sait, malgré la désaffection soudaine et massive des fidèles, les rites de passage tels le baptême, la 1ère communion et la confirmation, ont continué d'être célébrés. On peut aussi dire que les fêtes de Noël et de Pâques étaient encore empreintes d'une certaine religiosité. Bien entendu pour Noël, la messe de minuit contribuait beaucoup à cette atmosphère. Pour Pâques, la diffusion du film Jésus de Nazareth aidait à nous rappeler quel était l'objet de cette célébration. D'une manière assez brutale, il va sans dire... Assister à la crucifixion du Christ au petit écran fut pour l'enfant que j'étais un événement assez marquant merci. Ma mère m'en reparle souvent tellement j'étais inconsolable. Il faut dire que j'étais devenu un grand fan de Jésus depuis qu'on m'avait enseigné à l'école qu'il était le fils de Dieu, qu'il guérissait les malades et qu'il nous demandait juste de nous aimer les uns les autres. Juste des belles choses, que le spectacle de son exécution rendait d'autant plus insensé. Je crois bien que c'est le premier mort que j'ai pleuré.  

 

Comme bien des adolescents, mon lien avec Jésus s'est affaibli graduellement, pour complètement disparaitre à l'âge adulte. Mais je peux dire que j'ai eu le temps de développer avec lui une relation solide, assez pour prier tous les soirs avant de m'endormir. Rien de tel n'existe chez mes filles. Elle ne semblent pas entretenir de lien avec la religion, bien qu'elles aient des interrogations à ce sujet de temps en temps. Mine de rien, ce ne sont pas toutes les générations qui peuvent dire qu'elles ont vu devant leur yeux une religion s'éteindre... Ce qui ne veut pas dire que mon intérêt pour le christianisme a disparu. J'y suis revenu + tard, au fil de mes lectures. Le phénomène humain de Teilhard de Chardin fut l'une d'entre elles. Je me souviens surtout d'avoir trouvé le livre compliqué et de ne pas l'avoir fini. Mais si je peux en parler aujourd'hui, c'est beaucoup grâce à ceux qui ont écrit sur l'oeuvre de ce prêtre jésuite et ont su, j'espère, bien le vulgariser. Décédé en 1955, de Chardin avait émis des idées que l'Église avait jugées incompatibles avec sa doctrine et l'avait contraint au silence. Ce n'est qu'après sa mort que ses livres ont été publié et que cette même Église a finalement repris en partie ses thèses pour démontrer que Dieu et la Théorie de l'Évolution peuvent co-exister.  

De Chardin s'est exprimé sur de nombreux sujets mais on retient surtout de lui son concept de la Noosphère. Noos qui veut dire esprit/raison/pensée en grec. Grosso modo, il y a selon lui 3 stades qui caractérisent l'évolution de notre planète. La Lithosphère; liée à la fabrication et l'organisation de la matière, la Biosphère; qui concerne l'apparition et le déploiement du vivant, ainsi que la Noosphère; qui correspond à l'émergence de la conscience. Toujours selon De Chardin, la conscience, étant déjà latente en la matière - ne serait-ce qu'en tant que principe organisateur – crée inlassablement les conditions nécessaire à son déploiement, tel que le démontre l'évolution de notre planète... Notons que cette hypothèse n'a pas besoin d'une intervention divine pour s'articuler car la conscience, mue par la volonté propre qu'elle a de se (re)connaître, met toute son énergie à transformer l'inerte en vivant, et le vivant en conscient. On est donc pas ici en présence d'un Dessein Intelligent ; les mécanismes de la sélection naturelle ont toute la latitude voulue pour s'exprimer, réussir ou échouer, comme Darwin l'a deviné. À la différence que la Création tend ici vers un but ultime: le point Oméga, un point que l'humanité atteindra une fois que son potentiel spirituel sera pleinement développé. C'est pourquoi De Chardin interprète la crucifixion et la résurrection d'un dieu qui s'est fait chair comme étant l'illustration du parcours qu'emprunte l'esprit afin de s'incarner et ainsi spiritualiser la matière. Autrement dit ( j'ai perdu le lien et donc le nom de l'auteur des prochaines lignes, dont certaines sont aussi de De Chardin )* : « Il est impossible, en effet, pour Teilhard d’échapper «à l’idée que la spiritualisation progressive de la matière», à laquelle la paléontologie lui faisait si clairement assister, « puisse être autre et moindre chose qu’un processus irréversible dans lequel, suivant son vrai sens, la matière, au lieu de s’ultra-matérialiser » (c’est-à-dire de tomber dans une inopérante et stérile inertie), «... se métamorphose au contraire irrésistiblement en Psyché » (c’est-à-dire en une complexité organique conditionnant l’apparition possible d’une conscience animale et finalement humaine, comme nous voyons que les choses se passent en cours d’évolution). » *

Dites-vous que c'est la faute à Patrick Lagacé si je vous parle de ça. Son dernier billet Nos déficits d'empathie est apparu sur mon fil Facebook. Comme la plupart des papiers qu'il écrit, j'ai bien aimé, mais la fin m'a fait un peu tiquer: « Dans ce frôlement du bus sur le cycliste et les applaudissements envoyés au chauffeur, je vois un rappel pas forcément anodin: notre vernis de civilisation est bien mince. » C'est un tantinet dramatique quand on compare avec le vernis des précédentes civilisations. Bien sûr que des injustices et des atrocités sont encore commises mais on est loin du temps où la noblesse avait droit de vie ou de mort sur ses serfs. Ou qu'on pouvait vous mettre en prison, vous torturer et vous exécuter sans motifs. Ça fait quand même quelques décennies (seulement!) qu'à Montréal, tout le monde a l'eau potable à volonté chez soi, et qu'il est interdit de faire travailler en usine de jeunes enfants 12 heures d'affilées. Je pourrais continuer longtemps... C'est aussi ça, le vernis de notre civilisation. Et il est rendu assez épais à certains endroits. Pour être franc, m'est d'avis que y'a un peu de Jésus dans tout ça, que son message a fini par passer quand on pense au peu de valeur qu'a longtemps eu la vie humaine. Dans un monde où vivre voulait pas mal dire survivre, ça devait pas être si évident de s'aimer les uns les autres... 

Dans le même ordre d'idée, et tiré du même journal pour lequel écrit Patrick Lagacé, on pouvait lire hier dans le blogue de Richard Hétu que l'empire du café Starbuck allait offrir pendant une journée une formation sur le racisme à tous ses employés. Ce n'est pas banal comme nouvelle. Pas tant pour la formation en soi que pour la charge symbolique que cette opération de relation publique porte. Un symbole très cher payé soit dit en passant. D'où sa portée... À cela, De Chardin aurait pu ajouter que c'est la fonction de la Noosphère de produire de l'éthique et des relations publiques tout comme il revient à la Biosphère de produire de l'eau et des cerveaux. 

Mais pour revenir à notre relatif déficit d'empathie, il est vrai qu'il est dérangeant d'entendre des gens minimiser le geste du chauffeur et les propos qu'il a tenus. Comme le souligne Patrick Lagacé, il n'était pas gêné dans ses mouvements et n'avait pas à menacer ainsi le cycliste. Rien de toute façon pourrait justifier qu'un autobus mette en danger la vie de quiconque même si oui, on est tous d'accord, une minorité tenace de cyclistes manquent de civisme et sont imprudents. Mais à mettre l'emphase ainsi sur un incident et les commentaires qu'il a suscités pour faire le point sur notre civilisation, on perd de vue la vertigineuse ascension de notre espérance de vie, de sa qualité - la vie est beaucoup moins éprouvante physiquement qu'il y'a 60-70 ans pour une grande partie de la population - et d'une certaine idée de la justice qui a fait son chemin, et ce, dans une proportion largement supérieure à ce qu'aucune autre époque ait connue jusqu'à maintenant. Ce qui qui ne serait pas un hasard selon de Chardin. Selon lui, comme l'accroissement de la conscience tend naturellement vers un bien-être supérieur - car ce sont dans ces conditions que la conscience peut le mieux s'exprimer et se complexifier -, elle travaille constamment dans ce sens. Avec pour conséquence de nous faire converger sur le long terme vers Dieu, le point Oméga, une route qui sera forcément encore longue et pleine d'obstacles car il ne peut y avoir d'évolution sans friction, d'où la nécessité du Mal. Un autre problème de résolu..! 

De Chardin serait sûrement d'accord pour dire que nous sommes présentement dans une phase de transition. Et si l'invention de l'écriture marque la fin de la préhistoire, l'apparition de l'internet pourrait bien jouer le même rôle et tracer ainsi une transition symbolique entre la Biosphère et la Noosphère. Il avait d'ailleurs lui-même prédit l'arrivée d'un tel réseau afin que chacune de nos consciences individuelles puissent toutes communiquer entre elles... Et en cette ère de l'information, il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas au moins concéder une certaine cohérence à son hypothèse. Quand même qu'on soit agacé par l'aspect téléologique de ce qu'il expose, on peut difficilement nier les liens qu'il noue entre la matière, la vie et la conscience. Et que sens et information sont bel et bien au cœur de notre univers puisque nous y sommes, d'où la Noosphère... Bien sûr, on peut réfuter tout cela en invoquant la tautologie qui se cache derrière l'argument mais j'aurais peur que ça se retourne contre celui qui le ferait, cela étant effectivement un argument bien sensé...

 

*mes excuse à l'auteur qui a eu la bonne idée de reproduire ce passage de De Chardin dans son papier...

#4 Philip K. Dick ( ou comment je suis devenu un Blade Runner ) 

Je vous ai raconté quelques-uns de mes rêves dans le carnet précédent, ce n'est donc peut-être pas un hasard si j'ai en ce moment dans les mains un livre de Philip K Dick, un auteur de science-fiction qui nous a beaucoup parlé de ses rêves. Il en a mis d'étonnants en scène dans ce qu'on appellera + tard sa "trilogie divine". Je dis rêve mais dans les années 1970, Dick a vécu d'étranges expériences mystiques qu'il relate dans son roman V.A.L.I.S.   ( SIVA en français ), un espèce de roman auto-fictif-mystico-politique qui ne ressemble à rien. Son éditeur avait refusé de publier son récit précédent, connu aujourd'hui sous le titre de Radio Libre Albemuth, ce qui explique en partie pourquoi les 2 récits partagent des personages et des situations similaires. Je viens de le commencer et c'est plutôt fascinant étant donné le contexte actuel. Voici comment il décrit l'ascension au pouvoir de Ferris F. Freemont, un président américain fictif :

"Freemont fut étroitement lié aux manoeuvres soviétiques à l'intérieur des États-Unis, il fut soutenu par les intérêts soviétique et sa stratégie fut mise au point par les planificateurs soviétiques : tout ceci, bien qu'encore sujet à controverses, n'en reste pas moins un fait. Les Soviétiques le soutinrent, la droite le soutint...".

C'est de la prescience en 'ta quand on pense qu'en 1974, les État-Unis et l'Union soviétique sont en pleine Guerre Froide. On a un peu oublié à quel point la menace semblait réelle. Même jeune enfant, j'étais conscient que les Russes étaient nos ennemis, en raison des nouvelles que nous écoutions sur l'heure du souper et des manchettes des journaux. Un peu + tard, dans les années '80, Chom FM faisait constamment jouer Russians de Sting dans laquelle il se demandait si les Russes aimaient aussi leurs enfants... Bref, imaginer que la droite américaine puisse être du même côté que les Russes en 1974 ne faisait aucun sens. Ajoutez à cela un président qui devient un tyran dans un pays où la constitution est sacrée et où ses auteurs se sont fait un devoir d'établir un gouvernement qui rende impossible la prise du pouvoir par un tyran, et vous avez là une histoire de politique-fiction vraiment tirée par les cheveux pour l'époque. Je suis pas entrain de dire que Dick décrit ce qui s'est passé avec Trump pour autant, mais quand même, on ne peut s'empêcher de faire des parallèles. Mais l'a-t-il juste imaginé ou réellement pressenti..? Dick lui-même affirmait qu'il ne faisait qu'écrire des rapports sur la réalité, telle qu'il la percevait vraiment. J'en parle dans le premier carnet, c'est un livre d'Emmanuel Carrère, Le Royaume, qui m'a donné l'idée pour ce blogue. Lui même admet, si je me souviens bien, que La moustache, le roman qui l'a mis sur la mappe ( du moins au Québec ), c'est du Dick tout craché. On ne se surprendra donc pas qu'il lui ait consacré une biographie. Et que j'aie un faible pour les 2.

Il n'y a pas longtemps, on m'a donné The Exegis of Philip k. Dick, une brique posthume de 900 pages dans laquelle on trouve les notes que Dick a pris en 1974 alors qu'il était en transe et transcrivait l'information que ce qu'il appelait V.A.L.I.S. lui transmettait via, entre autres, un rayon de couleur rose! Et ça ne s'arrête pas là, V.A.L.I.S. - qui signifie Vast Active Living Intelligence System - lui aurait aussi indiqué que son fils souffrait d’une hernie inguinale. Ce mal, difficile à détecter, s'avère mortel s'il n'est pas traité à temps. N'eut été de l'insistance de Dick, les médecins n'auraient jamais pu guérir et sauver son fils. V.A.L.I.S. lui aurait également transmis le don de glossolalie, c'est-à-dire la capacité de parler et comprendre une langue auparavant inconnue. Après avoir fait des recherches, Dick et sa compagne ont découvert qu'il s'agissait du koinè, un dialecte grec couramment parlé au temps de l'Empire romain et de Jésus-Christ...

On s'en doutera, son exégèse est quelque chose d'assez ardu à lire. Mais on peut voir d'où vient la matière brute dont Dick s'est inspiré pour écrire sa trilogie divine, surtout V.A.L.I.S. et L'invasion Divine qui, on le réalise en lisant The Exegis, sont des récits romancés de ce qu'il a entrevu durant ses transes. Il faudrait posséder la même érudition que lui pour être capable de le suivre pleinement, ce qui n'est pas près de m'arriver. On y trouve aussi des lettres adressées à ses amis et connaissances et dans lesquelles il expose ses vues sur la nature de l'Univers (un hologramme selon Dick), sur Dieu et sur la signification des mythes, symboles et ouvrages récents et anciens. Ça donne une bible assez opaque merci.

Tout le contraire du dernier livre qu'il a écrit, La transmigration de Timothy Archer, mon roman préféré. Pas juste de K Dick. D'entre tous les livres que j'ai lus, je ne peux que constater que c'est celui-là qui m'a le + marqué. Paradoxalement, c'est l'un des rares à se passer ( presque ) normalement dans le présent. Rien à voir avec la majorité des films de science-fiction que son oeuvre a inspiré*. L'histoire tourne autour d'un fait réel et d'un personnage qu'il connaissait bien, James Pike, évêque épiscopalien de Los Angeles, trouvé mort dans le désert de Judée alors qu'il tentait de trouver le mystérieux "anoki" dont il est question dans certains manuscrits de la Mer Morte.  Il s'y était perdu avec sa Jeep et une bouteille de Coca-Cola. L'anoki, selon John Allegro, un historien anglais, était une sorte de champignon magique et Allegro avait échangé à ce sujet avec Pike. Jésus, toujours selon son hypothèse, en aurait fait le trafic et c'est la raison pour laquelle il aurait été exécuté ! Mais bien qu'il s'agisse là d'un personnage et d'un événement qui soient au coeur du roman, on passerait à côté de l'essentiel si on n'en disait que cela. Même chose pour les communications paranormales dont l'évêque, qui s'appelle Timothy Archer dans le récit, est témoin et dont il est convaincu qu'elles sont des manifestations de l'esprit de Jeff, son fils qui s'est récemment suicidé. Vous me suivez toujours? Ici aussi, on pourrait dire que la mort du père et du fils sont secondaires en regard de l'histoire. Le roman a plutôt comme personnage central Angel, l'épouse de Jeff Archer. C'est elle qui nous raconte comment sont morts son mari et son beau-père. On la suit alors qu'elle tente de trouver un sens à tout ça. Ça commence le jour de la mort John Lennon, ce qui n'est pas pour arranger les choses, d'autant + qu'Angel souffre d'une rage de dent, rage qui n'est pas étrangère à ma chanson du même nom pour ceux que ça intéresserait... Dick ici, pour une rare fois, n'a pas besoin de jouer avec la réalité et l'espace-temps pour nous causer philosophie et métaphysique. Et ça marche plutôt bien. On dirait qu'il en découle une profondeur psychologique à laquelle il ne nous avait pas habitué. Une œuvre à part, presque poignante, quand on la compare avec ses autres romans. Si jamais Denis Villeneuve décide un jour de prend sa "revanche" sur Dick ( j'aurais tellement voulu aimer Blade Runner 2049... ), c'est avec ce livre qu'il devrait s'y attaquer. En mode film d'auteur. Pourquoi pas une adaptation québécoise, en français, avec un petit budget (comparé à ceux d'Hollywood), un genre de retour aux sources..? Ce scénario - autant le livre que le retour aux sources - lui siérait bien il me semble.

On ne peut s'empêcher d'éprouver de l'empathie pour Philip K. Dick quand on sait qu'il n'aura pas connaissance de son succès, du moins pas de l'ampleur qu'il atteindra grâce aux adaptions futures de ses romans au cinéma. Il est mort en 1982 mais avait quand même pu visionner certaines scènes de Blade Runner qui l'avaient parait-il enchanté. Je n'ai aussi pu m'empêcher de penser à lui lorsqu'est sorti l'histoire des bots et des faux-comptes Facebook que des agents russes ont créés par milliers afin d'essayer d'influencer l'opinion publique américaine lors de l'élection de 2016. J'ai évoqué dans les autres carnets que je perds parfois mon temps à faire le troll sur Fox News. Je ne sais pas ce qui me prend, ça devient plus fort que moi, parfois je dois aller me mêler de ce qui ne me regarde pas. Et ce faisant, à chaque fois qu'un internaute répond à l'un de mes commentaires, je me sens un peu comme Deckard dans Blade Runner : " Croit-il vraiment qu'il soit raisonnable que des armes pouvant tirer autant de balles à la minute soient en vente chez Walmart?? Ou s'agit-il plutôt d'un bot russe qui trouve son compte à répéter ce que le premier pense..? " Alors on va vérifier. On traque. Et quand il arrive que le profil qui émet ce genre de commentaire n'a pas de photo et aucun ami, on se dit que c'est la 2e option qui l'emporte... Presque comme un vrai Blade Runner..! 


P.S. : J'ai terminé le livre. Un drôle d'objet, un peu décousu, mais qui finit par retrouver sa vigueur vers la fin. Une fin ouverte étrangement optimiste malgré le fait que Freemont continue d'élargir son pouvoir en contrôlant de plus en plus les médias... Il a retravaillé la même histoire pour son roman V.A.L.I.S. et qui était un peu plus réussi il me semble... 

 

* dont Total Recall, Blade Runner et Minority Report