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#30 : Forever Jung (26-03-21) 

    Quand j’ai fait part de mon enthousiasme à un ami parce que j’avais commencé à percer le mystère de la pensée de Jung grâce à un cours à l'université (Religion et psychologie), il m’a répondu que j’étais atteint de la Jungle Fever ! Il avait pas tort. Mais j’ai plutôt choisi de titrer ce carnet Forever Jung (Forever young) en lien avec Rod Stewart et son magnifique album Every picture tells a story qui a meublé de belle façon mon dernier hiver. Un mélange de folk et de rock très cru, très beau et très sincère. Et puis j’ai réalisé qu’une 2e raison, encore plus pertinente, justifiait le choix de l’Écossais. Il se trouve au cœur de l’album une version magnifique d’Amazing Grace. Et Jung s’est justement beaucoup intéressé à l’expérience mystique qui est décrite dans Amazing Grace et il a tenté tout au long de sa carrière d'expliquer rationnellement ce phénomène dont on dit qu’il est ineffable, au-delà des mots et de la raison telle qu’on l’entend normalement. Même si on sait à quelle enseigne il loge personnellement – il a déjà affirmé que quand on sait, on sait, on n'a pas besoin de croire –, Jung essaya toujours de proposer une analyse du phénomène qui peut autant satisfaire un croyant qu’un athée (à moins d'être freudien mais ça, c'est une autre histoire). La psychologie, via le symbolisme, serait une voie par laquelle un contenu incréé nous serait communiqué, et ce, inconsciemment et collectivement. Peu importe par qui ou par quoi, Jung s'intéresse avant tout à la manière et au contenu. Pour lui, il est évident que l’expérience subjective est primordiale ; non seulement c’est tout ce que nous avons, la subjectivité est en soi un phénomène objectif auquel il faut s’attarder un peu plus longuement si l’on désire comprendre qui nous sommes vraiment. 

 

 

    Pour Jung, le témoignage d'un individu qui estime avoir vécu une expérience mystique dont la teneur et l'intensité lui ferait dire qu'elle est la chose la plus significative qui lui soit arrivée, ce témoignage ne peut pas être écarté et étiqueté comme étant une simple fabulation. Jung ne voit pas sur quelle base il s'appuirait pour ne pas tenir compte du récit bouleversant, une expérience qui va jusqu'à changer radicalement la vision que cette personne a du monde et d'elle-même... Et lorsqu'on prête attention à ce que raconte le personnage dans Amazing Grace, c'est tout sauf banal. Il nous parle d’une révélation, d’une transformation ; avant il était aveugle, maintenant il voit, il est sauvé. Non seulement Jung semble bien comprendre, tel que rapporté plus haut, ce dont il est question, il a trouvé comment cartographier le parcours psychologique de celui qui traverse une expérience mystique pourtant réputée comme étant indescriptible. Fallait le faire. Jung n’a pas réduit pour autant ce phénomène à un événement prédéterminé, qui s’expliquerait grâce à la science et à la physiologie. On reste devant une transcendance, mais une transcendance qu’il est impossible d’ignorer tant elle désire se manifester et entrer en contact avec nous. C’est que nous aurions un inconscient collectif qui nous chuchote constamment des choses à l’oreille, à travers ce que Jung appelle les archétypes. 

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    Les archétypes seraient des patterns, des traits psychologiques, on dira une forme, mais une forme qui aurait toujours existé. Un peu comme le serait un réflexe ; personne n’apprend à respirer, le système s’en charge tout seul. L’archétype serait à la psyché ce que le réflexe est au corps. Et tout comme l’évolution a façonné notre biologie, l’évolution tend également vers des formes psychologiques pré-établies et données collectivement à l’humanité. Mais nous aurions seulement accès à la forme, jamais à l’archétype en soi. Dieu, toujours selon Jung, serait justement l’archétype qui est responsable de l’instinct religieux qui nous habite. Représentation à la fois subjective et objective, la forme que Jung nomme l'image-Dieu est en fait un symbole, symbole qui est manifesté par une source archétypale à laquelle l’esprit n’a pas directement accès. Dieu est donc un a priori qui appartient à l'inconscient collectif et qui participe à la formation de notre psyché – ne serait-ce qu'en raison de la finitude à laquelle son concept nous renvoie –, même si on ne peut l’appréhender que d’une manière symbolique, ce qui lui laisse beaucoup de latitude pour épouser les formes culturelles (Zeus, Allah, Brahman, Dieu, etc.) et individuelles qu'il évoque et manifeste de manière objective ET subjective, on le répète...

 

 

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    Je connaissais bien sûr le nom de Jung, que j’associais surtout au phénomène de la synchronicité – hâte de lire comment il explique que la réalité puisse devenir à ce point intriqué à la psyché de l’individu, j’en sais quelque chose (carnet #24) ! – mais dont le concept des archétypes me dépassait ; chaque fois que j’avais voulu lire Jung, je n’y comprenais absolument rien. Ce fut la découverte la plus spectaculaire que j’ai fait cette année à l’université mais c’est loin d’être la seule. Mon cours d’Introduction à l’islam est passionnant, tout comme le professeur qui le donne, et j’apprends une foule chose que j’ignorais de notre passé à travers mon cours d’Histoire religieuse du Québec grâce à un professeur tout aussi intéressant. Contrairement à ce qu’on aime penser, notre histoire religieuse ne fut pas qu'une grande noirceur ; une frange très libérale du clergé canadien-français a formé toute une jeunesse dans les années 30, elle ne s’est pas faite toute seule la Révolution Tranquille ! La bande-annonce de Vinland que j'ai vue passer m'a tout l'air de traiter justement de ce sujet.

    Mais pour revenir à Jung, ce n’est que maintenant que je suis pleinement en mesure de constater que l’esprit de Jung souffle partout au-dessus de ces carnets. Le #3, celui où je décris le rêve de l’Île-Falaise, songe que j’ai fait alors que j’étais très jeune enfant, aurait pu être un cas d'école si j'avais étais un patient de Jung tant les symboles qu'il contient sont éloquents ! J'ai aussi cité un extrait de son livre L'homme et ses symboles en introduction de ce carnet, le #26 L'esprit du temps et la mécanique des idées car j’aimais ce que la citation exprimait sans toutefois pleinement saisir le contexte duquel elle avait été extraite. 

    Pour Jung, peu importe sa source, la décharge énergétique et l’intensité du témoignage et l’importance qu’il revêt aux yeux de la personne qui revient d’une expérience mystique ne peut réfuter la vérité de ce qui est rapporté. Et ce qui est rapporté raconte souvent la même chose, on revient ébahi du fait qu’il n’y a plus de contradictions (carnet #17), la coincïdence des opposés à laquelle Jung fait souvent référence. Tout devient UN, il n’y a plus de distance, de temps, il n’y a plus d’opposés. La logique de la contradiction n’a plus cours (ce dont traite le carnet #29 sur Stéphane Lupasco et la kabbale) et c’est bien parce qu’elle n’est plus là qu’on est à même de réaliser qu’elle a toujours été là..! 
« I was blind but now-ow-a-ow I see » chante Rod dans Amazing Grace... Bref, je suis jungien full pin... Bon, j’avais dit que j’arrêtais au 30e carnet, de toute façon j’ai des travaux de sessions à remettre. Faque ciao bye, et merci à ceux qui me lisent !

 

#29 Confession d'un goy : Je t'aime toi non plus 

 

Il y a des scènes comme ça qui vous habite. S’est imprimée dans mon esprit il y a plusieurs années l’image d’un énorme grand-père endimanché, affublé d’un chapeau géant à la fois ridicule et magnifique, entouré d'une multitude de petits-enfants qui se couraient après en tournoyant autour de lui sur un trottoir de la rue Bernard pendant que j’attendais dans ma voiture à un feu rouge. Faut dire que j’ai toujours éprouvé de la sympathie pour les Hassidiques. Leur habillement sorti tout droit de la Pologne du 19e siècle et leurs boudins proéminents est un pied-de-nez sympathique à je sais pas quoi, mais ça le fait en ce qui me concerne. Y’a aussi que les questions métaphysiques m’intéressent et la position du hassidisme sur le sujet est vraiment originale. Et cohérente. Leur concept de Tzim Tzum pour expliquer la création du monde est un espèce de Big Bang avant l’heure. Et leur conception du monde et du rôle qu’ils ont à remplir dans ce monde explique aussi pourquoi le fait de se rassembler leur est si primordial et est au centre de leur mode de vie comme on a pu le constater une fois de plus dernièrement. On en conviendra, c'était pas nécessairement joli. Mais les autorités ont aussi pas pire cafouillé, on va se l'dire. C'est que le chant, la danse, la musique, la prière, et la joie qui en résulte lorsqu'on s'y adonne en groupe aide les Hassidiques à devenir plus pieux. C’est ce que veut dire leurs nom d’ailleurs, les Pieux.

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Je ne m’offusque pas non plus de leur indifférence à mon égard; c'est qu'ils ont d’autres chats à fouetter. Pour les Hassidiques, Dieu et l’humanité sont co-créateurs car c’est à travers les actions vertueuses des hommes que Dieu quitte le domaine pur de l’abstraction et parvient à devenir actif en ce monde. Ce qui en retour, divinise l’humanité dont les actions vertueuses actualisent les émanations divines, les sephiroth en hébreu. Autrement dit, Dieu créa les humains et grâce aux humains, Dieu n’est plus une abstraction. Et ce faisant, les hommes vertueux se rapprochent de Dieu. C’est un win-win. Je comprends qu’on puisse être sceptique devant l’existence du divin mais la question n’est pas là; la proposition est logique, une logique qui n’est pas sans rappeler la logique de l’énergie de Lupasco qui repose sur une dynamique de potentialisation et d’actualisation. Je dis pas ça pour faire mon smatt, c’est comme ça, pour une raison que j'ignore, Lupasco est arrivé un jour sur mon radar. Même si je comprends toujours pas tout ce qu’il explique, j’ai comme l’impression depuis le début qu’il a vraiment craqué le code...

 

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Je sais, pas besoin de le dire, c’est comme une secte, dans laquelle certains sont malheureux, et dont on peut difficilement sortir, au prix d'une exclusion sociale très brutale. On dira aussi que les enfants sont brainwashés et que les femmes ont pas de vie. Mais on projette plein d’affaires quand on s’exprime ainsi. Et qu’en est-il de nos propres fêlures? De l’isolement de nos personnes âgées, de la maltraitance de nos enfants, de nos obsessions virtuelles? Sommes-nous vraiment dans une position pour juger? Notre modernité est capable à elle toute seule de générer beaucoup de souffrances. Et face à cette souffrance inhérente à l'existence, les Hassiques ont adopté, ou plutôt préservé, une stratégie différente de la notre. Mais bon, encore une fois, je dis ça, je dis rien.

 

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On pourrait dire que Richard Dawkins, un biologiste et théoricien de l'évolution réputé, a insisté beaucoup pour ne pas trouver de vertu à la religion. Il faut que dire c'est un champion – dans le vieux sens du terme – de la Raison. Et pour qu'enfin elle prévale une fois pour toute, il croit avoir réussi à démontrer que la religion – étant donné qu'elle ne peut pas être un trait évolutif avantageux –, a réussi à se propager en contaminant les esprits. C’est ce qu'il a appelé un meme. Un meme a la capacité de se propager comme le ferait un gène, un virus ou un parasite. Des fois, ça donne de bonnes idées comme la culture. D'autres fois un peu moins comme pour la religion. Tadam. Voilà. La démonstration est faite (en écoutant le vidéo en dessous, je m'aperçois que je caricaturise un peu trop mais les implications (non-)téléologiques restent les mêmes au bout du compte. Comme si la raison, dans sa course vers le progrès, devait devenir omnisciente, que l'accroissement de son domaine était proportionnel à l'éradication de l’irrationnel. C'est qu'on confond la déraison et l'irrationnel. L’irrationnel ici n’a rien à voir avec qui est ou non factuel ou avec la liberté qu'on se donne de croire ce qu’on veut juste parce que ça fait notre affaire. Je parle plutôt de ce que la raison n’arrivera jamais à saisir, comme la créativité ou l'intuition par exemple. La raison et la créativité sont des modes psychiques non seulement différents, ils s'auto-excluent; ils ne peuvent co-exister sur le même plan. Ou dit autrement, la couleur est à l’aveugle ce que l’irrationnel est à la raison; une qualité, une dimension à laquelle elle n’a pas accès. Paradoxalement, sans la créativité, c'est l'évolution même qui ne pourrait pas avoir eu lieu. Pas pour rien que la créativité est un sephirot, une émanation divine pour les Juifs. Même chose pour la raison d'ailleurs.

 

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L’Occident est présentement un vaste laboratoire social. L’avènement d’une société séculière aussi peu pratiquante et de plus en plus athée est assurément une première dans l’histoire de l’humanité. Si je prends pour exemple mes enfants, ils n'ont assisté à aucune réelle célébration religieuse de leur vie et ce qu'elles savent de la religion est purement anecdotique. Aucune idée s'il y a un lien – comme bien des phénomènes, c'est multi-factoriel, et l'avènement des réseau sociaux jouent clairement un rôle – mais mes enfants appartiendraient à la génération la plus anxieuse qui ait jamais existé. Le phénomène aurait même explosé depuis le début des années 2010. Et si croire était un besoin physiologique? Une nécessité, inscrite à même notre psyché, et dont la suppression entrainerait des conséquences que nous ne sommes pas en mesure de réaliser étant donné le caractère inédit de ce phénomène sociologique. Comme Jung l'explique, pour l'Homme, Dieu est avant tout une image. Une image dont on a besoin pour se construire ; c'est un archétype, issu de l'inconscient collectif. Mais non seulement Dieu serait mort, le Soi où il trouvait sa place dans notre psyché a créé un vide que notre égo propre est allé remplir grâce à l'expansion vertigineuse du monde virtuel. Il est à se demander si le Narcisse des mythes grecs – qui dépérit à force de se contempler – n'en aurait pas profité pour remplacer Dieu... Jung parle aussi de la manière dont l'époque peut transformer la figure de l'archétype. Pas pour rien que Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft forment une nouvelle principauté; ils sont le territoire dans lequel notre toute nouvelle virtualité évolue. Ça n'a pas que du mauvais, on s'entend. Je ne fantasme aucunement sur le 19e siècle et sa rigidité morale et religieuse et je chéris ma condition, j'en suis reconnaissant. Sauf que pour pouvoir accéder au confort inégalé de notre réalité matérielle, il a fallu quitter le monde du surnaturel et de la superstition, sans toutefois comprendre que le récit raconté par la religion était avant tout symbolique, et que les rituels associés à leur célébration se veulent une façon d'intégrer ses symboles, symboles dont la compréhension se situe justement au-delà de la raison, et dont l'existence, enfouie dans notre inconscient collectif serait intriquée à même notre psyché, grâce aux archétypes. Jung est très convaincant lorsqu'il parle du caractère incréé de nos aspirations religieuses, c’est-à-dire des a priori psychologiques auxquels nous nous référons tous de manière symbolique, processus qui aurait difficilement pu être un fruit de notre imagination. Ce serait plutôt l'inverse; c’est l'existence des archétypes qui oriente notre manière de voir, d’appréhender le monde, de se concevoir et d'en extraire du sens. Ce qui implique forcément notre subjectivité. Les archétypes sont à la psyché ce que l’instinct est au vivant; un kit de départ, distribué à tous. Dans les 2 cas, ils tracent le chemin que prend l’évolution.

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Tout ça pour dire que si on a évacué le religieux et en même temps gagné en confort, on semble avoir aussi accru notre désarroi. Je veux pas faire mon péteux mais quand Nietzsche a affirmé que « Dieu est mort », ce n’était pas pour se réjouir mais pour s’en inquiéter. Car Dieu, de tout temps, guide les hommes et les femmes. C'est un archétype autour duquel le Soi se construit. C’est tout nouveau que les humains n’aient pas besoin de se serrer les coudes pour survivre, ni d'adhérer à une foi commune. Se pourrait-il que le prix à payer pour y arriver soit l’accroissement de l’isolement, de l’anxiété et de la division?

Ça a pas l'air d'être le cas des Hassidiques par exemple.

#26 L’esprit du temps et la mécanique des idées  

 

« En fait, l'esprit a atteint son stade actuel de conscience comme le gland se transforme en chêne, comme les sauriens se sont transformés en mammifères. De même qu'il s'est développé pendant fort longtemps, il continue encore, en sorte que nous sommes poussés par des forces intérieures aussi bien que par des stimuli extérieurs. » 

C.G. Jung " L'homme et ses symboles ", Robert Laffont, 1964 p.81. 


Si l’Homo Sapiens est sensiblement resté, biologiquement parlant, le même animal depuis son apparition il y a environ 300 000 ans, il est admis qu’il a continué d’évoluer au niveau psychique. Et tout comme il est possible de trouver des traces de l’évolution du vivant à travers la biologie humaine - les cellules de notre corps sont constituées de mitochondries; de minuscules centrales énergétiques et qui sont apparues 2 milliards d’années avant nous, notre coccyx est le vestige d’une ancienne queue, etc. -, certains ont tenté de dresser, à même la psyché humaine, la carte du cheminement psychologique de l’humanité depuis son berceau, et du reste de la route qui lui resterait à parcourir. 

 

Parmi ceux-là, le philosophe américain Ken Wilber avance une théorie qui permet de comprendre comment et pourquoi une nouvelle pensée finit par émerger et s’imposer à travers les époques. Grâce à son modèle, Wilber a pu prédire dès les années ’90 ce qui se joue maintenant un peu partout sur les campus universitaires américains et canadiens. La perspective qu'il offre sort des sentiers battus et en ce qui me concerne, ce ne serait pas une perte de temps si vous preniez la peine d’écouter le vidéo juste en-dessous qui aidera non seulement à comprendre comment évolue la psyché humaine, mais aussi comment et pourquoi il s'est produit le choc idéologique auquel on assiste depuis quelques jours à l’Université d’Ottawa. Bref, ce n’est pas un hasard si nous somme plusieurs à se sentir dépassés sur notre gauche, et qu’un phénomène d'inversion de certaines valeurs - la laïcité par exemple - semble s’opérer. Selon Wilber, les secousses idéologiques dont nous sommes témoins seraient le fruit d’une inévitable confrontation, en même temps que la répétition d’un phénomène qui se produit à chaque fois que l’humanité assiste à l’apparition d’un nouveau niveau de pensée. 

 


Toujours selon lui, il faudrait que seulement 10% de la population adhère à une nouvelle idéologie pour que celle-ci finisse par s’imposer et devienne dominante. Voilà comment et pourquoi les idées des Lumières qui prirent racine au 18e ont fini par devenir la norme au point tel qu’aujourd’hui, du moins en Occident, des concepts tels que la liberté d’expression ou la démocratie vont de soi. Mais pour devenir la norme, l’idéologie nouvelle ne peut pas complètement balayer celles qui l’ont précédé; elle doit plutôt la compléter, et améliorer l’ensemble du système sinon elle ne pourra s’épanouir, et ira même jusqu’à régresser si elle n’arrive pas à faire de compromis, ce qui semble être présentement le cas de la culture « woke » , associée à la pensée post-moderne, courant dont les graines, toutes jeunes, ont germée durant les année ’60. Si celle-ci met en lumière certains des paradoxes qu’a fini par engendrer le stade de pensée moderne - et qui succédait au stade tribal qui a dominé le Moyen-Age et dont certains relents sont encore présents -, Wilber nous explique qu’elle pourrait justement régresser au niveau tribal avec qui elle a beaucoup en commun - identity politics oblige - si elle rejette les piliers de la pensée moderne comme la liberté d’expression, piliers qui lui ont permis la naissance du stade post-moderne. Wilber termine avec une mise en garde contre les défis qui émergent lorsque fleurit un nouveau courant de pensée. Lorsqu'il en est à ses premières incarnations, celui-ci est convaincu de sa supériorité et prétend détenir la vérité, en d’autres mots, il n'est pas très inclusif et cherche plus à s'affirmer qu'à intégrer. Ajoutons à cela les caractéristiques propre au courant post-moderne; une relativisation ET un absolutisme extrême, et ceci explique bien des aspects de l’affaire qui secoue présentement l’Université d’Ottawa. Bref, un entretien fascinant comme le sont la plupart des vidéos que l’on peut visionner sur Rebel Wisdom.

#23 Féminisme, Christianisme et Évolution  

J’avoue avoir de la difficulté à me positionner sur le féminisme. Il faut dire que je n’ai pas de misère à trouver dans mon entourage des femmes qui réussissent bien et qui hésiteraient je crois à blâmer leur féminitude pour les obstacles qu’elles ont rencontrés. Il faut aussi reconnaitre que beaucoup de chemin a été parcouru au cours des dernières décennies et que la condition féminine s’est grandement améliorée, comme en témoigne entre autres depuis peu le fait que la majorité des diplômés issus des cycles d’études secondaire, collégial et universitaire sont des femmes. C’est un important rattrapage qui continue son cours et qui finira inévitablement par inverser beaucoup de tendances. Ceci étant dit, mes hésitations sur mon positionnement ont beaucoup plus à voir avec le fait que je sois… un homme..! Bête de même. Disons que je ne peux pas parler en toute connaissance de cause. Et de ce que je suis capable d'en déduire - personnellement, empiriquement, ici au Québec -  la situation autour de moi me semble plus qu'acceptable; les égarements et le manque de jugement de mes semblables dont on fait état dans les médias ces jours-ci ne semblent pas être un modus operandi que mes amis utilisent. Mais je dois avouer qu’une expérience vécue l’été dernier m’a amené à repenser ma position, ou plutôt mon absence de position sur la question. Peut-être pas sur le féminisme comme tel, mais plutôt sur ce qu’implique d’être une femme, sur les réflexes, les habitudes inconscientes et bien ancrées qui régissent les rapports entre les 2 sexes. J’ai moi-même réalisé la chose seulement plusieurs jours après les événements. Sur le coup, je n’avais rien à redire surtout que ça s’était très bien passé. Je n’avais pas du tout remarqué à quel point j’avais participé d’une manière bien involontaire à l’élaboration d’une scène mille fois répétées… 

Bien que je sois co-fondateur de la chorale Choeur de Loups, celle-ci doit incontestablement son âme et son essor à Marie-Josée Forest. Sans elle, cette emballante aventure n’aurait jamais vu le jour. Ce qui était à la base une idée toute simple - chanter en groupe, sans audition et sans partition, divers hits des années 60-70 et 80 -, cette idée rencontre un franc succès et suscite encore à ce jour une joie palpable chez tous nos participants. La qualité des harmonies et des arrangements à 3 voix que nous finissons immanquablement par maitriser à la fin de chaque séance ne cesse de m’étonner. Bref, le mot s’est passé et est parvenu au mois d’août dernier jusqu’aux oreilles de l’équipe de l’émission radiophonique du matin de Stéphan Bureau qui préparait un segment sur les bienfaits de chanter en groupe. On nous a invité Marie-Josée, moi et une choriste à se joindre à un spécialiste sur la question afin de témoigner et d’échanger sur le sujet.

Une autre émission nous ferait la même demande quelques jours après. Et dans les 2 cas, le même phénomène s’est produit : les animateurs prirent pour acquis que j’étais le directeur de la chorale..! Cela était d’autant plus surprenant que rien sur le site, ni dans les questions des recherchistes, pouvaient laisser penser que c’était le cas. Il est même bel et bien stipulé que c’est Marie-Josée la cheffe de choeur. J’aurais dû sur le coup reprendre les animateurs mais pour une raison qui m’échappe, je ne l’ai pas fait, préférant passer par-dessus la méprise et répondre sans détour aux questions, questions qui m’étaient d’ailleurs dirigées plus souvent qu’à mon tour. Marie-Josée a fini par rectifier, avec humour et en douceur, mais ce n’est que 2-3 jours après que j’ai réalisé qu’un sexisme subtil et inconscient avait probablement influencé le comportement de tous et chacun… et que si dans un contexte détendu - un studio de radio où il est simplement question d’échanger sur les bienfaits de la musique - qu’en est-il lorsqu’on évolue dans un milieu de travail où la compétition entre collègues entre souvent en jeu..? Je me posais une question qui ne m’était jamais vraiment venue à l’esprit, je dois l’avouer. 

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Il peut être hasardeux de mêler évolution, histoire et sociologie. Et comme séparer la culture de la biologie devient une tâche impossible quant on se penche sur l’évolution au sens large de l’Homo Sapiens, il est difficile de prouver hors de tout doute que tel ou tel trait culturel est effectivement un processus évolutif que l’espèce a adopté afin de favoriser sa survie. N’étant pas un spécialiste de la question, je ne me prononcerai pas sur la chose si ce n’est pour dire qu’il serait dans notre intérêt de comprendre qu’il y a en jeu des processus évolutifs qui nous dépassent, et qu’au delà des nombreux drames individuels qu’impliquent les rapports hommes-femmes et la vie en société en général ( violence conjugale, suicide, etc. ), ceux-ci sont fortement influencé par des mécanismes qui ont leur logique propre. Il ne s'agit pas d'excuser qui que ce soit mais de mieux cerner d'où viennent nos patterns, de prendre en compte qu'ils ont souvent une origine très lointaine. Bien entendu, l'Homo Sapiens a la capacité de modifier plus que toute autre espèce son destin mais celui-ci demeure toutefois fortement influencé par des lois naturelles, évolutives, qui sont beaucoup plus présentes et puissantes qu'on ne l'imagine. D’en prendre plus conscience éviterait de polariser les positions et de braquer davantage ceux qui en débattent. Il est également intéressant de noter que d’un point de vue strictement évolutionaire, les femmes ne sont pas que perdantes quand on considère que les stratégies mises en place par la Nature les favorise systématiquement en ce qui concerne l’espérance de vie.

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On l’oublie souvent mais nous vivons dans un confort que nos ancêtres n’auraient même pas pu imaginer quand on pense aux conditions qu’ils devaient affronter il y a pas si longtemps. Et jusqu’à récemment, que l’on soit homme ou femme ne changeait pas grand chose à l’issue, il y avait de fortes chances que vous mourriez avant 40 ans ; votre vie miséreuse vous aurait usé beaucoup plus rapidement qu’aujourd’hui. C’était aussi un monde où la violence était omniprésente si on compare avec aujourd’hui. Autant au quotidien; les moeurs, la justice et le droit se sont beaucoup raffinés depuis, qu’en temps de guerre; beaucoup plus fréquent, il va s’en dire. On ne s’étonnera pas qu’avec ces conditions, le christianisme ait à ce point foisonné. L’idée d’un dieu qui s’incarne afin de prendre sur lui les péchés du monde, souffrir dans sa chair pour sauver l’humanité, ce récit devait avoir une résonance dont plusieurs dimensions doivent forcément nous échapper aujourd’hui. Mais bien que les éprouvantes conditions de vie des siècles précédents soient choses du passé pour nombre d’entre nous, il semble qu’une importante souffrance psychologique ait pris le relais. Je ne pense pas pour autant que l’on doit s’attendre à une résurgence du christianisme, mais l’étonnante conclusion - mystique à souhait - du dernier Houellebecq peut laisser penser qu’il y a peut-être encore un peu d'espoir en Occident pour cette religion. Il est facile d’imaginer que d’autres puissent imiter le personnage central de Sérétonine qui, en proie à une lente agonie psychique, s’en remet au Christ. Ce ne serait pas la première fois que l’intuition de Houellebecq s’avère juste. Et que dire de la conversion de Kanye West et des millions de fans qui adhèrent à son message et son gosp/hop inspiré..! Il y aurait évidemment plein de choses à dire sur le rôle des femmes dans l’Évangile - on peut quand même facilement trouver des passages où Jésus apparait comme féministe avant l’heure, c'est à des femmes qu'il décide d'apparaitre en premier après sa résurrection - contrastant en cela avec la manière dont l’Église les a injustement traité. 

Je m’égare un peu mais il m’arrive de penser que le christianisme, tel un fruit, a en mourant su semer les graines de son idéal, que son message de base, "Aimez-vous les uns les autres", a fini par laisser une marque durable, même si cette religion a aussi motivé bien des actions contraire à ce qu'elle prêchait. Certains ajouteront que contrairement au Judaïsme et à l'Islam, le monothéisme chrétien a favorisé sur le long terme la séparation de l'Église d'avec l'état. Des phrases comme "Mon royaume n'est pas de ce monde" ou "Rendez à César ce qui appartient à César" sont en porte-à-faux avec la tradition juive et le Coran qui dictent dans le détail la conduite de ses fidèles dans la vie quotidienne. Le christianisme à cet égard est pas mal plus slack. Et Jésus s'est d'ailleurs attiré les foudres du clergé de l'époque entre autres parce qu'il n'observait pas le sabbat. Il référait souvent à l'esprit de la Loi et affirmait que les rites étaient en soi vides si on les accomplissait seulement pour les accomplir... Il y aurait beaucoup à dire sur la religion du point de vue de l'évolution. Et contrairement à ce que Richard Dawkins avance, la religion serait bien plus qu'un "mind virus", elle a toute les caractéristiques d'un trait évolutif qui favoriserait la survie de l'espèce. Le contraire irait à l'encontre même de la logique évolutive quand on y pense! Pour ceux que ça intéresse, le vidéo qui termine le texte - où il est question d'un débat entre Dawkins et Bret Weinstein - parle de ce sujet ( à partir de 3:30). Bref, corrolation is not causation mais il est difficile de ne pas faire de liens entre l'Occident, le Christianisme et les Droits de l'Homme. Et c’est justement parce que ces principes d’égalité sont maintenant inscrits au coeur des sociétés occidentales qu'il m'est d'avis que le futur, pour le mieux-être de tous, s’écrira de plus en plus au féminin.

#22 Une nouvelle sorte de musique  

La raison pour laquelle je suis musicien a beaucoup à voir avec cette veillée passée dans un petit shack sur le bord d'un lac durant l'été de mes 14 ans. Le fils d'un ami de mon père avait sorti sa 12 cordes et nous avions chanté toute la soirée. Bien que nous écoutions souvent de la musique à la maison et que mon père aimait beaucoup chanter - ce qu'il faisait très bien, bien mieux que moi! - je n'avais jamais entendu d'aussi proche avant ce soir-là un musicien jouer de son instrument, d'une manière aussi naturelle et ludique; il avait carrément fait lever la place. L'atmosphère était électrique, tout le monde s'époumonait, faisait des harmonies et lâchait son fou. Ça avait été magique. Je me souviens d'avoir été particulièrement frappé par l'effet que provoquait l'arrêt d'une chanson lorsque le guitariste ne se souvenait plus d'un accord et le cherchait. Le temps s'arrêtait, littéralement. Je me souviens aussi d'avoir fortement ressenti que la musique était quelque chose qui faisait du sens, qui dévoilait une vérité, évidente et à la fois cachée, mais dont l'essence touchait à... l'essentiel, comme si la musique transportait au delà de ses sons et de ses mélodies un secret ineffable. Bref, son mystérieux et puissant pouvoir m'avait ensorcelé. Je me rappelle que c'est après cette soirée-là, le lendemain sur la route en revenant du chalet que j'ai demandé à mon père si je pouvais avoir une guitare.

 

Ça a peut-être à voir avec le fait que je n’ai pas de cell mais j’ai très mal négocié le virage numérique. Et ce n’est pas le musicien qui parle ici mais le fan de musique. Quand on a quitté notre appartement dans Villeray pour acheter un condo dans Rosemont il y a 7 ans de cela, je me suis départi de tous mes cds. Pour gagner de l’espace, j’avais décidé de les transférer dans mon Mac croyant que cela ne ferait aucun différence. Mais ça en fit toute une : j’ai pratiquement arrêter d’écouter de la musique. Et Dieu qu’elle m’a manqué. J’ai consigné quelque part la suite d’événements heureux et improbables que le début de l’année m’a réservée - 2019 a vraiment commencé en lion ! - mais je réalise que j’avais oublié dans ma liste le retour de la musique. Je me suis mis tout simplement à racheter des cds. Au diable la dépense - au moins ils ne sont plus rendus chers - le retour sur l’investissement en vaut largement la chandelle, ne serait-ce que pour l’envie de danser et de chanter que la musique me procure à nouveau, ou tout simplement la joie que son écoute attentive m'apporte. Mais c’est aussi d’en faire, en jouant « live » avec un groupe - un gros groupe, une chorale de 60 personnes - qui m’a pour ainsi dire reconnecté avec son étonnant pouvoir. 

J’ai exploré dans ce carnet quelques-unes des raisons qui expliqueraient le pouvoir de la musique, pouvoir qui je crois repose en grande partie sur le fait que la musique sait susciter non seulement de l’émotion mais aussi, tel que mentionné en introduction, du sens … et cela sans qu’aucun mot n’ait besoin d’être prononcé il va sans dire. La musique est un étrange carrefour dans lequel vibrent d’apaisantes et réjouissantes harmonies, comme si le divin - appelons ici divin la "chose"  immanente et incréée qui fait qu’il y a bel et bien quelque chose au lieu de rien, et qu'on puisse en plus le constater, et en parler. On s'est habitué mais c'est pas banal pour autant... - donc comme si le divin arrivait à se manifester malgré notre entendement limité et notre incapacité à comprendre pleinement d’où nous venons vraiment. La musique agirait ainsi comme un phare, un signal qui émanerait à partir de simples vibrations, organisées selon des principes mathématiques simples - rythmiques et harmoniques - et qui nous transmettraient quelque chose d’intelligible, d’esthétique et de bel et bien réel malgré son caractère évanescent, tel un récit duquel on ne saurait dire exactement ce qu'il a exprimé mais dont on ne pourrait nier le déroulement et l’émotion qu’il suscite.

Avec plus d'envergure, on peut entendre dans le vidéo ci-dessus un prfesseur de psychologie, Jordan Peterson, résumer parfaitement l’essence de ce que j’essaye d'exprimer. Et s’il est aujourd’hui connu pour d’autres raisons, c’est bien parce que je cherchais à entendre ce que d’autres personnes avaient à dire sur cette hypothèse - si je me souviens bien, j'avais tapé les mots "meaning of music" pour lancer ma recherche - que je suis tombé pour la première fois sur lui. Je prends le temps de le mentionner car on aime beaucoup caricaturer sa pensée et on aurait tort de penser que par conséquent il ne dit rien de censé... La démonstration qu'il fait du caractère transcendantal de la musique - transcendantal  en ce sens que le langage n'est pas capable de rendre réellement compte de la manière dont nous ressentons l'expérience musicale - sa démonstration est très éloquente je trouve. Mais bon, ce n’est pas tant de cela que j’aimerais causer que des transformations qu’a subies la façon dont nous produisons, écoutons et consommons la musique, et du possible lien qu’il y a à faire avec ce que j’ai énoncé en introduction.

On le répète beaucoup, l'industrie musicale est en crise. Et cela fait plusieurs années que cette idée me taraude : et si c’était la musique elle-même qui en avait marre du star-system, de sa confiscation par l’industrie et qui aspirerait à revenir à quelque chose de plus global, intégral, inclusif, de plus direct..? Rassurez-vous, je ne dis pas que la musique ait conscience de quoi que ce soit mais comme n'importe quel système qui se constitue, le potentialité de son anti-thèse n'a d'autres choix que de devenir une possibilité. Autrement dit, notre relation avec la musique n'a pas besoin de rester la même. Lorsqu’on demeure strictement spectateur ou auditeur, aussi plaisante soit-elle, cette expérience n’atteint pas le potentiel optimal qui pourrait advenir si celui qui écoute devenait également un performer, prenait part au spectacle et devenait pourquoi pas co-créateur d’une oeuvre en devenir ? En d’autres mots, pourquoi ne pas abolir la frontière entre la scène et le spectateur, pourquoi ne pas transformer l’auditoire et les musiciens en un seul et même band ? J'adore travailler avec mon ordi et en studio, jouer de la guitare, de la basse, du clavier, chanter, trouver des arrangements ; bref tout le processus et la collaboration qui vient avec. Mais cette façon de travailler la musique est pour moi d'une nature très différente que ce que je propose ici. Cela fait maintenant plusieurs années que je jam avec des amis, et cette idée est d'abord née du plaisir d'être connecté plus directement à la musique, d'une manière plus spontanée, dans une posture un peu plus groovy et moins mélancolique que mes propositions chansonnières précédentes.

À la manière d’un processus évolutif, je suis convaincu que depuis les années 1950, l’engouement, pour ne pas dire l’ensorcellement, provoqué par la musique chez la jeunesse et la population en général a eu pour effet de développer et améliorer l’oreille d’un nombre significatif d’individus qui, à force d’écouter et de chanter les chansons préférées des artistes qu’ils aiment, ont fini par atteindre un standard fort respectable. J’en ai pour preuve la chorale que j’accompagne à chaque semaine et qui réussit à la fin de chaque soirée à monter à l'oreille et sans partition un arrangement vocal à 3 voix ( 3 harmonies différentes ; basse, alto et soprano ) avec une qualité impressionnante et ce, même si la majorité chantait en groupe pour la première fois de leur vie. Et tous sont unanimes, le plaisir ressenti, le bien-être qui en découle est immensément bénéfique. Normal, nous vibrons littéralement tous en harmonie. C’est là un des grands pouvoirs de la musique qui, lorsqu’expérimenté simultanément en grand nombre, amène une joie réelle et palpable, qui unifie et laisse derrière tous ce qui pourrait nous diviser. Il y a là je crois un véritable potentiel thérapeutique, libérateur qui reste à exploiter et explorer et dont la nécessité est plus que jamais pertinente étant donné la drôle d’époque qui s’est amorcée avec la révolution numérique et ses réseaux sociaux et les effets divisifs que cela entraine. Et je ne parle pas ici de reprendre en choeur des vieux succès - ce que j'adore faire avec Choeur de Loups - mais plutôt d’improviser, sous la direction d’un chef de choeur, des motifs mélodiques et de les superposer sur des riffs que joueront des musiciens. Ces derniers auront des blocs musicaux déterminés mais dont la durée et l’intensité varieront et sur lesquels divers improvisateurs - cuivres, guitares, claviers, accordéons, name it… - pourront avec le choeur y aller d’une envolée et se joindre aux voix qui se mêleront.

Bien sûr, cela ressemble aux cercles de chant ( circle songs ) qu’anime Bobby McFerrin, à la différence qu’ici, tout le monde est convié, pas besoin de préalablement faire partie d’une chorale ou de prétendre savoir chanter. Aussi, il n'y aurait pour ainsi dire aucun spectateur, tous seraient invités à participer.  L’accompagnement par une section rythmique et harmonique viendrait aussi varier, épicer un peu plus la formule de McFerrin qui, à ce que j’en sache, reste essentiellement vocale. 

Se sortir de la société du spectacle, s’affranchir de la relation auditeur/performer, jouer différemment avec la musique, essayer d'y insuffler un nouveau sens, voilà quelques-uns des impacts que cette façon de jouer ensemble pourrait amener, en plus d’abolir - le temps d’une, 5 ou 12 « chansons » - nos différences, et ce faisant, se sortir du virtuel, communier un peu + dans le réel.

#7 Jésus le film, de Chardin et le ( relatif ) déficit d'empathie de Patrick Lagacé  

Comme beaucoup de Canadiens français de mon âge, mon enfance a été marqué par une éducation somme toute assez religieuse si je la compare avec celle que reçoivent mes enfants. Ça n'avait rien à voir avec ce qu'avaient vécu auparavant mes parents mais on peut dire que ma génération - je suis né en 1970 - a assisté aux derniers soubresauts de la religion catholique romaine au Québec. Comme on le sait, malgré la désaffection soudaine et massive des fidèles, les rites de passage tels le baptême, la 1ère communion et la confirmation, ont continué d'être célébrés. On peut aussi dire que les fêtes de Noël et de Pâques étaient encore empreintes d'une certaine religiosité. Bien entendu pour Noël, la messe de minuit contribuait beaucoup à cette atmosphère. Pour Pâques, la diffusion du film Jésus de Nazareth aidait à nous rappeler quel était l'objet de cette célébration. D'une manière assez brutale, il va sans dire... Assister à la crucifixion du Christ au petit écran fut pour l'enfant que j'étais un événement assez marquant merci. Ma mère m'en reparle souvent tellement j'étais inconsolable. Il faut dire que j'étais devenu un grand fan de Jésus depuis qu'on m'avait enseigné à l'école qu'il était le fils de Dieu, qu'il guérissait les malades et qu'il nous demandait juste de nous aimer les uns les autres. Juste des belles choses, que le spectacle de son exécution rendait d'autant plus insensé. Je crois bien que c'est le premier mort que j'ai pleuré.  

 

Comme bien des adolescents, mon lien avec Jésus s'est affaibli graduellement, pour complètement disparaitre à l'âge adulte. Mais je peux dire que j'ai eu le temps de développer avec lui une relation solide, assez pour prier tous les soirs avant de m'endormir. Rien de tel n'existe chez mes filles. Elle ne semblent pas entretenir de lien avec la religion, bien qu'elles aient des interrogations à ce sujet de temps en temps. Mine de rien, ce ne sont pas toutes les générations qui peuvent dire qu'elles ont vu devant leur yeux une religion s'éteindre... Ce qui ne veut pas dire que mon intérêt pour le christianisme a disparu. J'y suis revenu + tard, au fil de mes lectures. Le phénomène humain de Teilhard de Chardin fut l'une d'entre elles. Je me souviens surtout d'avoir trouvé le livre compliqué et de ne pas l'avoir fini. Mais si je peux en parler aujourd'hui, c'est beaucoup grâce à ceux qui ont écrit sur l'oeuvre de ce prêtre jésuite et ont su, j'espère, bien le vulgariser. Décédé en 1955, de Chardin avait émis des idées que l'Église avait jugées incompatibles avec sa doctrine et l'avait contraint au silence. Ce n'est qu'après sa mort que ses livres ont été publié et que cette même Église a finalement repris en partie ses thèses pour démontrer que Dieu et la Théorie de l'Évolution peuvent co-exister.  

De Chardin s'est exprimé sur de nombreux sujets mais on retient surtout de lui son concept de la Noosphère. Noos qui veut dire esprit/raison/pensée en grec. Grosso modo, il y a selon lui 3 stades qui caractérisent l'évolution de notre planète. La Lithosphère; liée à la fabrication et l'organisation de la matière, la Biosphère; qui concerne l'apparition et le déploiement du vivant, ainsi que la Noosphère; qui correspond à l'émergence de la conscience. Toujours selon De Chardin, la conscience, étant déjà latente en la matière - ne serait-ce qu'en tant que principe organisateur – crée inlassablement les conditions nécessaire à son déploiement, tel que le démontre l'évolution de notre planète... Notons que cette hypothèse n'a pas besoin d'une intervention divine pour s'articuler car la conscience, mue par la volonté propre qu'elle a de se (re)connaître, met toute son énergie à transformer l'inerte en vivant, et le vivant en conscient. On est donc pas ici en présence d'un Dessein Intelligent ; les mécanismes de la sélection naturelle ont toute la latitude voulue pour s'exprimer, réussir ou échouer, comme Darwin l'a deviné. À la différence que la Création tend ici vers un but ultime: le point Oméga, un point que l'humanité atteindra une fois que son potentiel spirituel sera pleinement développé. C'est pourquoi De Chardin interprète la crucifixion et la résurrection d'un dieu qui s'est fait chair comme étant l'illustration du parcours qu'emprunte l'esprit afin de s'incarner et ainsi spiritualiser la matière. Autrement dit ( j'ai perdu le lien et donc le nom de l'auteur des prochaines lignes, dont certaines sont aussi de De Chardin )* : « Il est impossible, en effet, pour Teilhard d’échapper «à l’idée que la spiritualisation progressive de la matière», à laquelle la paléontologie lui faisait si clairement assister, « puisse être autre et moindre chose qu’un processus irréversible dans lequel, suivant son vrai sens, la matière, au lieu de s’ultra-matérialiser » (c’est-à-dire de tomber dans une inopérante et stérile inertie), «... se métamorphose au contraire irrésistiblement en Psyché » (c’est-à-dire en une complexité organique conditionnant l’apparition possible d’une conscience animale et finalement humaine, comme nous voyons que les choses se passent en cours d’évolution). » *

Dites-vous que c'est la faute à Patrick Lagacé si je vous parle de ça. Son dernier billet Nos déficits d'empathie est apparu sur mon fil Facebook. Comme la plupart des papiers qu'il écrit, j'ai bien aimé, mais la fin m'a fait un peu tiquer: « Dans ce frôlement du bus sur le cycliste et les applaudissements envoyés au chauffeur, je vois un rappel pas forcément anodin: notre vernis de civilisation est bien mince. » C'est un tantinet dramatique quand on compare avec le vernis des précédentes civilisations. Bien sûr que des injustices et des atrocités sont encore commises mais on est loin du temps où la noblesse avait droit de vie ou de mort sur ses serfs. Ou qu'on pouvait vous mettre en prison, vous torturer et vous exécuter sans motifs. Ça fait quand même quelques décennies (seulement!) qu'à Montréal, tout le monde a l'eau potable à volonté chez soi, et qu'il est interdit de faire travailler en usine de jeunes enfants 12 heures d'affilées. Je pourrais continuer longtemps... C'est aussi ça, le vernis de notre civilisation. Et il est rendu assez épais à certains endroits. Pour être franc, m'est d'avis que y'a un peu de Jésus dans tout ça, que son message a fini par passer quand on pense au peu de valeur qu'a longtemps eu la vie humaine. Dans un monde où vivre voulait pas mal dire survivre, ça devait pas être si évident de s'aimer les uns les autres... 

Dans le même ordre d'idée, et tiré du même journal pour lequel écrit Patrick Lagacé, on pouvait lire hier dans le blogue de Richard Hétu que l'empire du café Starbuck allait offrir pendant une journée une formation sur le racisme à tous ses employés. Ce n'est pas banal comme nouvelle. Pas tant pour la formation en soi que pour la charge symbolique que cette opération de relation publique porte. Un symbole très cher payé soit dit en passant. D'où sa portée... À cela, De Chardin aurait pu ajouter que c'est la fonction de la Noosphère de produire de l'éthique et des relations publiques tout comme il revient à la Biosphère de produire de l'eau et des cerveaux. 

Mais pour revenir à notre relatif déficit d'empathie, il est vrai qu'il est dérangeant d'entendre des gens minimiser le geste du chauffeur et les propos qu'il a tenus. Comme le souligne Patrick Lagacé, il n'était pas gêné dans ses mouvements et n'avait pas à menacer ainsi le cycliste. Rien de toute façon pourrait justifier qu'un autobus mette en danger la vie de quiconque même si oui, on est tous d'accord, une minorité tenace de cyclistes manquent de civisme et sont imprudents. Mais à mettre l'emphase ainsi sur un incident et les commentaires qu'il a suscités pour faire le point sur notre civilisation, on perd de vue la vertigineuse ascension de notre espérance de vie, de sa qualité - la vie est beaucoup moins éprouvante physiquement qu'il y'a 60-70 ans pour une grande partie de la population - et d'une certaine idée de la justice qui a fait son chemin, et ce, dans une proportion largement supérieure à ce qu'aucune autre époque ait connue jusqu'à maintenant. Ce qui qui ne serait pas un hasard selon de Chardin. Selon lui, comme l'accroissement de la conscience tend naturellement vers un bien-être supérieur - car ce sont dans ces conditions que la conscience peut le mieux s'exprimer et se complexifier -, elle travaille constamment dans ce sens. Avec pour conséquence de nous faire converger sur le long terme vers Dieu, le point Oméga, une route qui sera forcément encore longue et pleine d'obstacles car il ne peut y avoir d'évolution sans friction, d'où la nécessité du Mal. Un autre problème de résolu..! 

De Chardin serait sûrement d'accord pour dire que nous sommes présentement dans une phase de transition. Et si l'invention de l'écriture marque la fin de la préhistoire, l'apparition de l'internet pourrait bien jouer le même rôle et tracer ainsi une transition symbolique entre la Biosphère et la Noosphère. Il avait d'ailleurs lui-même prédit l'arrivée d'un tel réseau afin que chacune de nos consciences individuelles puissent toutes communiquer entre elles... Et en cette ère de l'information, il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas au moins concéder une certaine cohérence à son hypothèse. Quand même qu'on soit agacé par l'aspect téléologique de ce qu'il expose, on peut difficilement nier les liens qu'il noue entre la matière, la vie et la conscience. Et que sens et information sont bel et bien au cœur de notre univers puisque nous y sommes, d'où la Noosphère... Bien sûr, on peut réfuter tout cela en invoquant la tautologie qui se cache derrière l'argument mais j'aurais peur que ça se retourne contre celui qui le ferait, cela étant effectivement un argument bien sensé...

 

*mes excuse à l'auteur qui a eu la bonne idée de reproduire ce passage de De Chardin dans son papier...