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#30 : Forever Jung (26-03-21) 

    Quand j’ai fait part de mon enthousiasme à un ami parce que j’avais commencé à percer le mystère de la pensée de Jung grâce à un cours à l'université (Religion et psychologie), il m’a répondu que j’étais atteint de la Jungle Fever ! Il avait pas tort. Mais j’ai plutôt choisi de titrer ce carnet Forever Jung (Forever young) en lien avec Rod Stewart et son magnifique album Every picture tells a story qui a meublé de belle façon mon dernier hiver. Un mélange de folk et de rock très cru, très beau et très sincère. Et puis j’ai réalisé qu’une 2e raison, encore plus pertinente, justifiait le choix de l’Écossais. Il se trouve au cœur de l’album une version magnifique d’Amazing Grace. Et Jung s’est justement beaucoup intéressé à l’expérience mystique qui est décrite dans Amazing Grace et il a tenté tout au long de sa carrière d'expliquer rationnellement ce phénomène dont on dit qu’il est ineffable, au-delà des mots et de la raison telle qu’on l’entend normalement. Même si on sait à quelle enseigne il loge personnellement – il a déjà affirmé que quand on sait, on sait, on n'a pas besoin de croire –, Jung essaya toujours de proposer une analyse du phénomène qui peut autant satisfaire un croyant qu’un athée (à moins d'être freudien mais ça, c'est une autre histoire). La psychologie, via le symbolisme, serait une voie par laquelle un contenu incréé nous serait communiqué, et ce, inconsciemment et collectivement. Peu importe par qui ou par quoi, Jung s'intéresse avant tout à la manière et au contenu. Pour lui, il est évident que l’expérience subjective est primordiale ; non seulement c’est tout ce que nous avons, la subjectivité est en soi un phénomène objectif auquel il faut s’attarder un peu plus longuement si l’on désire comprendre qui nous sommes vraiment. 

 

 

    Pour Jung, le témoignage d'un individu qui estime avoir vécu une expérience mystique dont la teneur et l'intensité lui ferait dire qu'elle est la chose la plus significative qui lui soit arrivée, ce témoignage ne peut pas être écarté et étiqueté comme étant une simple fabulation. Jung ne voit pas sur quelle base il s'appuirait pour ne pas tenir compte du récit bouleversant, une expérience qui va jusqu'à changer radicalement la vision que cette personne a du monde et d'elle-même... Et lorsqu'on prête attention à ce que raconte le personnage dans Amazing Grace, c'est tout sauf banal. Il nous parle d’une révélation, d’une transformation ; avant il était aveugle, maintenant il voit, il est sauvé. Non seulement Jung semble bien comprendre, tel que rapporté plus haut, ce dont il est question, il a trouvé comment cartographier le parcours psychologique de celui qui traverse une expérience mystique pourtant réputée comme étant indescriptible. Fallait le faire. Jung n’a pas réduit pour autant ce phénomène à un événement prédéterminé, qui s’expliquerait grâce à la science et à la physiologie. On reste devant une transcendance, mais une transcendance qu’il est impossible d’ignorer tant elle désire se manifester et entrer en contact avec nous. C’est que nous aurions un inconscient collectif qui nous chuchote constamment des choses à l’oreille, à travers ce que Jung appelle les archétypes. 

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    Les archétypes seraient des patterns, des traits psychologiques, on dira une forme, mais une forme qui aurait toujours existé. Un peu comme le serait un réflexe ; personne n’apprend à respirer, le système s’en charge tout seul. L’archétype serait à la psyché ce que le réflexe est au corps. Et tout comme l’évolution a façonné notre biologie, l’évolution tend également vers des formes psychologiques pré-établies et données collectivement à l’humanité. Mais nous aurions seulement accès à la forme, jamais à l’archétype en soi. Dieu, toujours selon Jung, serait justement l’archétype qui est responsable de l’instinct religieux qui nous habite. Représentation à la fois subjective et objective, la forme que Jung nomme l'image-Dieu est en fait un symbole, symbole qui est manifesté par une source archétypale à laquelle l’esprit n’a pas directement accès. Dieu est donc un a priori qui appartient à l'inconscient collectif et qui participe à la formation de notre psyché – ne serait-ce qu'en raison de la finitude à laquelle son concept nous renvoie –, même si on ne peut l’appréhender que d’une manière symbolique, ce qui lui laisse beaucoup de latitude pour épouser les formes culturelles (Zeus, Allah, Brahman, Dieu, etc.) et individuelles qu'il évoque et manifeste de manière objective ET subjective, on le répète...

 

 

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    Je connaissais bien sûr le nom de Jung, que j’associais surtout au phénomène de la synchronicité – hâte de lire comment il explique que la réalité puisse devenir à ce point intriqué à la psyché de l’individu, j’en sais quelque chose (carnet #24) ! – mais dont le concept des archétypes me dépassait ; chaque fois que j’avais voulu lire Jung, je n’y comprenais absolument rien. Ce fut la découverte la plus spectaculaire que j’ai fait cette année à l’université mais c’est loin d’être la seule. Mon cours d’Introduction à l’islam est passionnant, tout comme le professeur qui le donne, et j’apprends une foule chose que j’ignorais de notre passé à travers mon cours d’Histoire religieuse du Québec grâce à un professeur tout aussi intéressant. Contrairement à ce qu’on aime penser, notre histoire religieuse ne fut pas qu'une grande noirceur ; une frange très libérale du clergé canadien-français a formé toute une jeunesse dans les années 30, elle ne s’est pas faite toute seule la Révolution Tranquille ! La bande-annonce de Vinland que j'ai vue passer m'a tout l'air de traiter justement de ce sujet.

    Mais pour revenir à Jung, ce n’est que maintenant que je suis pleinement en mesure de constater que l’esprit de Jung souffle partout au-dessus de ces carnets. Le #3, celui où je décris le rêve de l’Île-Falaise, songe que j’ai fait alors que j’étais très jeune enfant, aurait pu être un cas d'école si j'avais étais un patient de Jung tant les symboles qu'il contient sont éloquents ! J'ai aussi cité un extrait de son livre L'homme et ses symboles en introduction de ce carnet, le #26 L'esprit du temps et la mécanique des idées car j’aimais ce que la citation exprimait sans toutefois pleinement saisir le contexte duquel elle avait été extraite. 

    Pour Jung, peu importe sa source, la décharge énergétique et l’intensité du témoignage et l’importance qu’il revêt aux yeux de la personne qui revient d’une expérience mystique ne peut réfuter la vérité de ce qui est rapporté. Et ce qui est rapporté raconte souvent la même chose, on revient ébahi du fait qu’il n’y a plus de contradictions (carnet #17), la coincïdence des opposés à laquelle Jung fait souvent référence. Tout devient UN, il n’y a plus de distance, de temps, il n’y a plus d’opposés. La logique de la contradiction n’a plus cours (ce dont traite le carnet #29 sur Stéphane Lupasco et la kabbale) et c’est bien parce qu’elle n’est plus là qu’on est à même de réaliser qu’elle a toujours été là..! 
« I was blind but now-ow-a-ow I see » chante Rod dans Amazing Grace... Bref, je suis jungien full pin... Bon, j’avais dit que j’arrêtais au 30e carnet, de toute façon j’ai des travaux de sessions à remettre. Faque ciao bye, et merci à ceux qui me lisent !

 

#29 Confession d'un goy : Je t'aime toi non plus 

 

Il y a des scènes comme ça qui vous habite. S’est imprimée dans mon esprit il y a plusieurs années l’image d’un énorme grand-père endimanché, affublé d’un chapeau géant à la fois ridicule et magnifique, entouré d'une multitude de petits-enfants qui se couraient après en tournoyant autour de lui sur un trottoir de la rue Bernard pendant que j’attendais dans ma voiture à un feu rouge. Faut dire que j’ai toujours éprouvé de la sympathie pour les Hassidiques. Leur habillement sorti tout droit de la Pologne du 19e siècle et leurs boudins proéminents est un pied-de-nez sympathique à je sais pas quoi, mais ça le fait en ce qui me concerne. Y’a aussi que les questions métaphysiques m’intéressent et la position du hassidisme sur le sujet est vraiment originale. Et cohérente. Leur concept de Tzim Tzum pour expliquer la création du monde est un espèce de Big Bang avant l’heure. Et leur conception du monde et du rôle qu’ils ont à remplir dans ce monde explique aussi pourquoi le fait de se rassembler leur est si primordial et est au centre de leur mode de vie comme on a pu le constater une fois de plus dernièrement. On en conviendra, c'était pas nécessairement joli. Mais les autorités ont aussi pas pire cafouillé, on va se l'dire. C'est que le chant, la danse, la musique, la prière, et la joie qui en résulte lorsqu'on s'y adonne en groupe aide les Hassidiques à devenir plus pieux. C’est ce que veut dire leurs nom d’ailleurs, les Pieux.

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Je ne m’offusque pas non plus de leur indifférence à mon égard; c'est qu'ils ont d’autres chats à fouetter. Pour les Hassidiques, Dieu et l’humanité sont co-créateurs car c’est à travers les actions vertueuses des hommes que Dieu quitte le domaine pur de l’abstraction et parvient à devenir actif en ce monde. Ce qui en retour, divinise l’humanité dont les actions vertueuses actualisent les émanations divines, les sephiroth en hébreu. Autrement dit, Dieu créa les humains et grâce aux humains, Dieu n’est plus une abstraction. Et ce faisant, les hommes vertueux se rapprochent de Dieu. C’est un win-win. Je comprends qu’on puisse être sceptique devant l’existence du divin mais la question n’est pas là; la proposition est logique, une logique qui n’est pas sans rappeler la logique de l’énergie de Lupasco qui repose sur une dynamique de potentialisation et d’actualisation. Je dis pas ça pour faire mon smatt, c’est comme ça, pour une raison que j'ignore, Lupasco est arrivé un jour sur mon radar. Même si je comprends toujours pas tout ce qu’il explique, j’ai comme l’impression depuis le début qu’il a vraiment craqué le code...

 

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Je sais, pas besoin de le dire, c’est comme une secte, dans laquelle certains sont malheureux, et dont on peut difficilement sortir, au prix d'une exclusion sociale très brutale. On dira aussi que les enfants sont brainwashés et que les femmes ont pas de vie. Mais on projette plein d’affaires quand on s’exprime ainsi. Et qu’en est-il de nos propres fêlures? De l’isolement de nos personnes âgées, de la maltraitance de nos enfants, de nos obsessions virtuelles? Sommes-nous vraiment dans une position pour juger? Notre modernité est capable à elle toute seule de générer beaucoup de souffrances. Et face à cette souffrance inhérente à l'existence, les Hassiques ont adopté, ou plutôt préservé, une stratégie différente de la notre. Mais bon, encore une fois, je dis ça, je dis rien.

 

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On pourrait dire que Richard Dawkins, un biologiste et théoricien de l'évolution réputé, a insisté beaucoup pour ne pas trouver de vertu à la religion. Il faut que dire c'est un champion – dans le vieux sens du terme – de la Raison. Et pour qu'enfin elle prévale une fois pour toute, il croit avoir réussi à démontrer que la religion – étant donné qu'elle ne peut pas être un trait évolutif avantageux –, a réussi à se propager en contaminant les esprits. C’est ce qu'il a appelé un meme. Un meme a la capacité de se propager comme le ferait un gène, un virus ou un parasite. Des fois, ça donne de bonnes idées comme la culture. D'autres fois un peu moins comme pour la religion. Tadam. Voilà. La démonstration est faite (en écoutant le vidéo en dessous, je m'aperçois que je caricaturise un peu trop mais les implications (non-)téléologiques restent les mêmes au bout du compte. Comme si la raison, dans sa course vers le progrès, devait devenir omnisciente, que l'accroissement de son domaine était proportionnel à l'éradication de l’irrationnel. C'est qu'on confond la déraison et l'irrationnel. L’irrationnel ici n’a rien à voir avec qui est ou non factuel ou avec la liberté qu'on se donne de croire ce qu’on veut juste parce que ça fait notre affaire. Je parle plutôt de ce que la raison n’arrivera jamais à saisir, comme la créativité ou l'intuition par exemple. La raison et la créativité sont des modes psychiques non seulement différents, ils s'auto-excluent; ils ne peuvent co-exister sur le même plan. Ou dit autrement, la couleur est à l’aveugle ce que l’irrationnel est à la raison; une qualité, une dimension à laquelle elle n’a pas accès. Paradoxalement, sans la créativité, c'est l'évolution même qui ne pourrait pas avoir eu lieu. Pas pour rien que la créativité est un sephirot, une émanation divine pour les Juifs. Même chose pour la raison d'ailleurs.

 

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L’Occident est présentement un vaste laboratoire social. L’avènement d’une société séculière aussi peu pratiquante et de plus en plus athée est assurément une première dans l’histoire de l’humanité. Si je prends pour exemple mes enfants, ils n'ont assisté à aucune réelle célébration religieuse de leur vie et ce qu'elles savent de la religion est purement anecdotique. Aucune idée s'il y a un lien – comme bien des phénomènes, c'est multi-factoriel, et l'avènement des réseau sociaux jouent clairement un rôle – mais mes enfants appartiendraient à la génération la plus anxieuse qui ait jamais existé. Le phénomène aurait même explosé depuis le début des années 2010. Et si croire était un besoin physiologique? Une nécessité, inscrite à même notre psyché, et dont la suppression entrainerait des conséquences que nous ne sommes pas en mesure de réaliser étant donné le caractère inédit de ce phénomène sociologique. Comme Jung l'explique, pour l'Homme, Dieu est avant tout une image. Une image dont on a besoin pour se construire ; c'est un archétype, issu de l'inconscient collectif. Mais non seulement Dieu serait mort, le Soi où il trouvait sa place dans notre psyché a créé un vide que notre égo propre est allé remplir grâce à l'expansion vertigineuse du monde virtuel. Il est à se demander si le Narcisse des mythes grecs – qui dépérit à force de se contempler – n'en aurait pas profité pour remplacer Dieu... Jung parle aussi de la manière dont l'époque peut transformer la figure de l'archétype. Pas pour rien que Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft forment une nouvelle principauté; ils sont le territoire dans lequel notre toute nouvelle virtualité évolue. Ça n'a pas que du mauvais, on s'entend. Je ne fantasme aucunement sur le 19e siècle et sa rigidité morale et religieuse et je chéris ma condition, j'en suis reconnaissant. Sauf que pour pouvoir accéder au confort inégalé de notre réalité matérielle, il a fallu quitter le monde du surnaturel et de la superstition, sans toutefois comprendre que le récit raconté par la religion était avant tout symbolique, et que les rituels associés à leur célébration se veulent une façon d'intégrer ses symboles, symboles dont la compréhension se situe justement au-delà de la raison, et dont l'existence, enfouie dans notre inconscient collectif serait intriquée à même notre psyché, grâce aux archétypes. Jung est très convaincant lorsqu'il parle du caractère incréé de nos aspirations religieuses, c’est-à-dire des a priori psychologiques auxquels nous nous référons tous de manière symbolique, processus qui aurait difficilement pu être un fruit de notre imagination. Ce serait plutôt l'inverse; c’est l'existence des archétypes qui oriente notre manière de voir, d’appréhender le monde, de se concevoir et d'en extraire du sens. Ce qui implique forcément notre subjectivité. Les archétypes sont à la psyché ce que l’instinct est au vivant; un kit de départ, distribué à tous. Dans les 2 cas, ils tracent le chemin que prend l’évolution.

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Tout ça pour dire que si on a évacué le religieux et en même temps gagné en confort, on semble avoir aussi accru notre désarroi. Je veux pas faire mon péteux mais quand Nietzsche a affirmé que « Dieu est mort », ce n’était pas pour se réjouir mais pour s’en inquiéter. Car Dieu, de tout temps, guide les hommes et les femmes. C'est un archétype autour duquel le Soi se construit. C’est tout nouveau que les humains n’aient pas besoin de se serrer les coudes pour survivre, ni d'adhérer à une foi commune. Se pourrait-il que le prix à payer pour y arriver soit l’accroissement de l’isolement, de l’anxiété et de la division?

Ça a pas l'air d'être le cas des Hassidiques par exemple.

#3 Le rêve de l'île-falaise 

Il est rare que ça m'arrive mais je souffre d'insomnie depuis quelques jours. Mince consolation, je me suis mis à me souvenir de mes rêves, surtout celui qui survient lorsque je réussis à m'endormir vers les 6h30 pour me réveiller environ une heure et demie plus tard. La plupart du temps, ce sont des histoires bric-à-brac, sans queue ni tête, qui sur le coup semblent être portées par une logique interne, une espèce de quête, mais dont le récit devient vite confus et inintéressant, du moins pour l'interlocuteur qui a la patience ou la malchance de m'écouter... Cette dernière année, il m'arrive souvent de rêver que j'habite avec ma famille dans une énorme maison, jamais la même, dont je finis par découvrir de nouvelles pièces, avec des inconnus qui y vivent et des murs manquants ou incomplets qui donnent sur l'extérieur; un parc ou une forêt... Un de mes rêves préférés fut celui que j'ai fait il y a 3 ou 4 ans durant lequel Paul McCartney m'a donné une chanson! Je marchais avec ma blonde des les rues de Liverpool lorsque quelqu'un s'est mis à jouer de la guitare sur sa véranda. C'était nul autre que Paul qui, lorsqu'on s'est arrêté devant lui, s'est mis à chanter les mots suivants: "I never had the chance to play on that piano, I never had the chance to play on that piano but..." I don't remember le reste. Je me suis empressé de la repiquer dès mon réveil. C'est une progression d'accords somme toute assez standard mais dont la mélodie est plutôt catchy. On s'en étonnera pas étant donné le compositeur. Je travaille d'ailleurs dessus en ce moment avec mon oncle Pierre. Je sais pas si je devrai la déclarer Fortier/McCartney à la Socan!? Je serais pas contre remarquez, je lui en dois quand même beaucoup. Un type de rêve que je ne fais plus et dont je ne me plains pas est celui où je n'arrive pas à bouger, ni émettre un son alors que je sens autour de moi la présence d'esprits malveillants. Très jeune, il m'arrivait de rêver que j'étais dans le sous-sol ou la cave, pendant que j'entendais ma mère discuter avec une amie au salon et que j'étais incapable d'aller la rejoindre ni de l'appeler. J'ouvrais la bouche, j'essayais de crier mais aucun bruit ne sortait. Je tentais alors de ramper, pouvant à peine avancer ma main de quelques centimètres pour essayer de me hisser en haut des marches afin d'échapper aux esprits maléfiques qui me terrorisaient et faisaient virevolter autour de moi toutes sortes d'objets. J'en ai refait un du genre il y a quelques années et j'ai revécu le même effroi que lorsque j'étais petit. Un vrai cauchemar. Mais il y a un songe extraordinaire que j'ai fait alors que je devais avoir 5 ou 6 ans et dont le souvenir et le sens continuent de me poursuivre à ce jour.

Je suis sur un lac au milieu d'une chaloupe. Je rame et les rames sont lourdes et grosses mais je me débrouille quand même bien malgré le vent constant qui peut parfois davantage s'emporter. Je suis à la recherche d'un ruisseau qui tire sa source de la petite baie située au fond droit devant. Je m'approche tranquillement de ma destination en longeant la berge qui me protège enfin du vent. L'eau devient de moins en moins profonde et je dois manoeuvrer pour que la cale évite les troncs d'arbre qui dorment sous l'eau, juste à l'orée du ruisseau. Je continue d'avancer, debout dans la barque, en poussant à 2 mains sur une des rames, profondément dans la vase, jusqu'à ce que les souches et les branches mortes et noyées cessent de me ralentir. Le baie est maintenant derrière moi et l'eau, qui commence à être plus profonde, devient aussi de plus en plus vive. Au point où le ruisseau s'élargit assez pour qu'on puisse parler maintenant d'une petite rivière. Cela me surprend car si dans mon rêve je savais qu'il y avait là un ruisseau, j'ignorais l'existence de la rivière.                                                                                                                                 

Il faut savoir que le lac en question est bien réel, j'y ai vécu de grands bonheurs rustiques. D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours aimé être dans la nature, seul, avec mes amis ou avec ma famille. J'aimais beaucoup marcher dans la campagne et dans les bois avec ma grand-mère paternelle, Anna, qui aimait particulièrement aller se promener lorsque le jour tombait, à l'heure où s'éveillent en grand nombre les habitants de la forêt. Nous finissions souvent par revenir à la pleine noirceur, ce qui, il me semble, inquiétait ma mère. Faudra un jour que je vous raconte l'accueil que cette même forêt a réservé à ma blonde (une Forest !) la première fois où nous y sommes allés ensemble. Ça foisonnait de partout. Faudrait que je relise le carnet où elle avait consigné tous les animaux qui étaient venus nous saluer pendant notre séjour. Une bonne douzaine il me semble.  Je me souviens entre autres d'un amusant numéro de loutres, d'une rencontre avec un orignal, d'un concert de loups et d'une étoile filante géante qui avait tourné sur elle-même comme dans un dessin animé avant de disparaitre dans l'horizon. Il y avait aussi eu un étonnant nuage en forme de coeur qui, on le verra plus tard, a un lien avec le rêve que je vous décrivais et auquel je vais maintenant retourner.

 

 

Une fois franchis les encombrements qui séparent la baie du ruisseau, je constate avec étonnement que le débit de l'eau se met à augmenter rapidement, tellement qu'il ne me sert plus à rien de ramer. Le ruisseau devenu rivière est maintenant bordé des deux côtés par des parois lisses, rondes et rocheuses sur lesquelles ont poussé de grands conifères qui défilent devant mes yeux de plus en plus rapidement. Je reste calme malgré le courant qui s'emporte, le torrent assourdissant, et ma barque qui ne cesse de prendre de la vitesse. Je vous rappelle que j'ai 5 ou 6 ans, peut-être même 4..? Je ne sais pas pourquoi mais je me sens entre bonnes mains, c'en est même devenu amusant, on dirait un manège. Puis je commence à voir que la voute que forment les arbres au-dessus du cours d'eau s'éclaircit et laisse passer de + en + la lumière du jour, jusqu'à ce que l'ombre de la forêt disparaisse complètement, m'expulsant doucement dans un un grand lac digne et scintillant avec en son milieu une île, une île-falaise qui laisse pendre à son sommet un gras toupet d'herbes vertes et folles que le vent caresse violemment. Le ciel est radieux, le décor majestueux et le moment est à la fois solennel et joyeux. 

Je me remets alors à ramer avec en tête de me rendre sur la cime de l'ile. Une fois arrivé à ses abords, je réalise à quel point ses côtes sont hautes et escarpées et qu'il sera impossible de les escalader. Mais peu importe, par je ne sais trop quel tour de passe-passe, je me retrouve soudainement propulsé sur le sommet. Puis je m'allonge dans l'épaisse crinière gazonnée et laisse le soleil me baigner doucement la tête - comme sait le faire la lumière de septembre -, en même temps qu'émerge le sentiment d'être en totale sécurité, que tout est parfait et qu'il n'y a pas lieu de craindre quoi que ce soit. Jamais. Le bleu du ciel, souverain et apaisant, m'invite dans une extase tandis que le vent et les rayons du jour m'entretiennent sur la félicité et la joie. Intense bonheur dont les mots n'arriveront jamais à décrire la totalité de l'expérience. Vous comprendrez pourquoi encore à ce jour ce rêve continue de m'impressionner. 

Il existe une presqu'île sur le premier lac dont il est question au début du rêve. Un shack y a été bâti par des déserteurs lors de la 1ère guerre mondiale. Mon grand-père en a fait l'acquisition après que le club de chasse et pêche dont il faisait partie, le Club des 12, ait été démantelé. On y a ajouté par après une rallonge mais il n'y a toujours pas l'électricité ni l'eau courante. Pour la petite histoire, sachez que Maurice Richard en personne y est allé pour pêcher avec mon grand-père..! Il va s'en dire que je n'ai jamais retrouvé le ruisseau ni le grand lac scintillant. Et ce n'est pas faute de ne pas les avoir cherché. L'empreinte que ce rêve a laissé sur moi a été si vive que l'enfant que j'étais était convaincu qu'ils existaient pour de vrai. C'est pourquoi il y a de cela une quinzaine d'année, je n'ai pu m'empêcher de sourire lorsque j'ai aperçu dans la dense couche de ouate qui couvrait tout l'horizon, un étrange nuage en forme de coeur, découpé par les seuls traits de bleu du ciel visibles de ma chaloupe ce matin-là. Il se juchait exactement au-dessus de là où le grand lac scintillant et son île escarpée auraient dû se trouver...

 

 

*J'ai comme un flash. J'ai l'impression qu'on voit ce genre de falaise dans l'introduction du dessin animé Vicky qui jouait sur l'heure du dîner quand je revenais de l'école et que ma mère nous préparait un bon Kraft Dinner..!