#3 Le rêve de l'île-falaise

Il est rare que ça m'arrive mais je souffre d'insomnie depuis quelques jours. Mince consolation, je me suis mis à me souvenir de mes rêves, surtout celui qui survient lorsque je réussis à m'endormir vers les 6h30 pour me réveiller environ une heure et demie plus tard. La plupart du temps, ce sont des histoires bric-à-brac, sans queue ni tête, qui sur le coup semblent être portées par une logique interne, une espèce de quête, mais dont le récit devient vite confus et inintéressant, du moins pour l'interlocuteur qui a la patience ou la malchance de m'écouter... Cette dernière année, il m'arrive souvent de rêver que j'habite avec ma famille dans une énorme maison, jamais la même, dont je finis par découvrir de nouvelles pièces, avec des inconnus qui y vivent et des murs manquants ou incomplets qui donnent sur l'extérieur; un parc ou une forêt... Un de mes rêves préférés fut celui que j'ai fait il y a 3 ou 4 ans durant lequel Paul McCartney m'a donné une chanson! Je marchais avec ma blonde des les rues de Liverpool lorsque quelqu'un s'est mis à jouer de la guitare sur sa véranda. C'était nul autre que Paul qui, lorsqu'on s'est arrêté devant lui, s'est mis à chanter les mots suivants: "I never had the chance to play on that piano, I never had the chance to play on that piano but..." I don't remember le reste. Je me suis empressé de la repiquer dès mon réveil. C'est une progression d'accords somme toute assez standard mais dont la mélodie est plutôt catchy. On s'en étonnera pas étant donné le compositeur. Je travaille d'ailleurs dessus en ce moment avec mon oncle Pierre. Je sais pas si je devrai la déclarer Fortier/McCartney à la Socan!? Je serais pas contre remarquez, je lui en dois quand même beaucoup. Un type de rêve que je ne fais plus et dont je ne me plains pas est celui où je n'arrive pas à bouger, ni émettre un son alors que je sens autour de moi la présence d'esprits malveillants. Très jeune, il m'arrivait de rêver que j'étais dans le sous-sol ou la cave, pendant que j'entendais ma mère discuter avec une amie au salon et que j'étais incapable d'aller la rejoindre ni de l'appeler. J'ouvrais la bouche, j'essayais de crier mais aucun bruit ne sortait. Je tentais alors de ramper, pouvant à peine avancer ma main de quelques centimètres pour essayer de me hisser en haut des marches afin d'échapper aux esprits maléfiques qui me terrorisaient et faisaient virevolter autour de moi toutes sortes d'objets. J'en ai refait un du genre il y a quelques années et j'ai revécu le même effroi que lorsque j'étais petit. Un vrai cauchemar. Mais il y a un songe extraordinaire que j'ai fait alors que je devais avoir 5 ou 6 ans et dont le souvenir et le sens continuent de me poursuivre à ce jour.

Je suis sur un lac au milieu d'une chaloupe. Je rame et les rames sont lourdes et grosses mais je me débrouille quand même bien malgré le vent constant qui peut parfois davantage s'emporter. Je suis à la recherche d'un ruisseau qui tire sa source de la petite baie située au fond droit devant. Je m'approche tranquillement de ma destination en longeant la berge qui me protège enfin du vent. L'eau devient de moins en moins profonde et je dois manoeuvrer pour que la cale évite les troncs d'arbre qui dorment sous l'eau, juste à l'orée du ruisseau. Je continue d'avancer, debout dans la barque, en poussant à 2 mains sur une des rames, profondément dans la vase, jusqu'à ce que les souches et les branches mortes et noyées cessent de me ralentir. Le baie est maintenant derrière moi et l'eau, qui commence à être plus profonde, devient aussi de plus en plus vive. Au point où le ruisseau s'élargit assez pour qu'on puisse parler maintenant d'une petite rivière. Cela me surprend car si dans mon rêve je savais qu'il y avait là un ruisseau, j'ignorais l'existence de la rivière.                                                                                                                                 

Il faut savoir que le lac en question est bien réel, j'y ai vécu de grands bonheurs rustiques. D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours aimé être dans la nature, seul, avec mes amis ou avec ma famille. J'aimais beaucoup marcher dans la campagne et dans les bois avec ma grand-mère paternelle, Anna, qui aimait particulièrement aller se promener lorsque le jour tombait, à l'heure où s'éveillent en grand nombre les habitants de la forêt. Nous finissions souvent par revenir à la pleine noirceur, ce qui, il me semble, inquiétait ma mère. Faudra un jour que je vous raconte l'accueil que cette même forêt a réservé à ma blonde (une Forest !) la première fois où nous y sommes allés ensemble. Ça foisonnait de partout. Faudrait que je relise le carnet où elle avait consigné tous les animaux qui étaient venus nous saluer pendant notre séjour. Une bonne douzaine il me semble.  Je me souviens entre autres d'un amusant numéro de loutres, d'une rencontre avec un orignal, d'un concert de loups et d'une étoile filante géante qui avait tourné sur elle-même comme dans un dessin animé avant de disparaitre dans l'horizon. Il y avait aussi eu un étonnant nuage en forme de coeur qui, on le verra plus tard, a un lien avec le rêve que je vous décrivais et auquel je vais maintenant retourner.

 

 

Une fois franchis les encombrements qui séparent la baie du ruisseau, je constate avec étonnement que le débit de l'eau se met à augmenter rapidement, tellement qu'il ne me sert plus à rien de ramer. Le ruisseau devenu rivière est maintenant bordé des deux côtés par des parois lisses, rondes et rocheuses sur lesquelles ont poussé de grands conifères qui défilent devant mes yeux de plus en plus rapidement. Je reste calme malgré le courant qui s'emporte, le torrent assourdissant, et ma barque qui ne cesse de prendre de la vitesse. Je vous rappelle que j'ai 5 ou 6 ans, peut-être même 4..? Je ne sais pas pourquoi mais je me sens entre bonnes mains, c'en est même devenu amusant, on dirait un manège. Puis je commence à voir que la voute que forment les arbres au-dessus du cours d'eau s'éclaircit et laisse passer de + en + la lumière du jour, jusqu'à ce que l'ombre de la forêt disparaisse complètement, m'expulsant doucement dans un un grand lac digne et scintillant avec en son milieu une île, une île-falaise qui laisse pendre à son sommet un gras toupet d'herbes vertes et folles que le vent caresse violemment. Le ciel est radieux, le décor majestueux et le moment est à la fois solennel et joyeux. 

Je me remets alors à ramer avec en tête de me rendre sur la cime de l'ile. Une fois arrivé à ses abords, je réalise à quel point ses côtes sont hautes et escarpées et qu'il sera impossible de les escalader. Mais peu importe, par je ne sais trop quel tour de passe-passe, je me retrouve soudainement propulsé sur le sommet. Puis je m'allonge dans l'épaisse crinière gazonnée et laisse le soleil me baigner doucement la tête - comme sait le faire la lumière de septembre -, en même temps qu'émerge le sentiment d'être en totale sécurité, que tout est parfait et qu'il n'y a pas lieu de craindre quoi que ce soit. Jamais. Le bleu du ciel, souverain et apaisant, m'invite dans une extase tandis que le vent et les rayons du jour m'entretiennent sur la félicité et la joie. Intense bonheur dont les mots n'arriveront jamais à décrire la totalité de l'expérience. Vous comprendrez pourquoi encore à ce jour ce rêve continue de m'impressionner. 

Il existe une presqu'île sur le premier lac dont il est question au début du rêve. Un shack y a été bâti par des déserteurs lors de la 1ère guerre mondiale. Mon grand-père en a fait l'acquisition après que le club de chasse et pêche dont il faisait partie, le Club des 12, ait été démantelé. On y a ajouté par après une rallonge mais il n'y a toujours pas l'électricité ni l'eau courante. Pour la petite histoire, sachez que Maurice Richard en personne y est allé pour pêcher avec mon grand-père..! Il va s'en dire que je n'ai jamais retrouvé le ruisseau ni le grand lac scintillant. Et ce n'est pas faute de ne pas les avoir cherché. L'empreinte que ce rêve a laissé sur moi a été si vive que l'enfant que j'étais était convaincu qu'ils existaient pour de vrai. C'est pourquoi il y a de cela une quinzaine d'année, je n'ai pu m'empêcher de sourire lorsque j'ai aperçu dans la dense couche de ouate qui couvrait tout l'horizon, un étrange nuage en forme de coeur, découpé par les seuls traits de bleu du ciel visibles de ma chaloupe ce matin-là. Il se juchait exactement au-dessus de là où le grand lac scintillant et son île escarpée auraient dû se trouver...

 

 

*J'ai comme un flash. J'ai l'impression qu'on voit ce genre de falaise dans l'introduction du dessin animé Vicky qui jouait sur l'heure du dîner quand je revenais de l'école et que ma mère nous préparait un bon Kraft Dinner..!

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