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#28 Cachez ce mort que je ne saurais voir (02-2021) 

– « … ben oui mais ce sera pas grave Suzanne, quand tu seras morte, tu seras pu là pour voir de quoi t’as l’air..! Être exposé, ça donne à ceux qui restent la chance de te dire un dernier adieu, et ça aide à mieux faire notre deuil je trouve… » 

– «  J’m’en fous, j’ai pas envie qu’on me voit toute ratatinée… » 

J’avais beau essayer d’expliquer à ma belle-mère que selon ma perspective, ce n’était pas pour soi mais pour ceux qui restent qu'on organise des obsèques, que je préférais de loin la voir (de proche) une dernière fois en chair et en os plutôt qu’en photo devant une urne, rien n’y faisait, ça restait un dialogue de sourd. Il faut dire que le départ d’une amie de ma mère que je connaissais bien était encore récent et le vide causé par le fait que je n’avais pas pu la voir une dernière fois m’habitait encore. Je m’étais arrêté au salon funéraire avant de prendre la route pour de courtes vacances en pensant pouvoir lui rendre un dernier hommage mais j’étais reparti avec la vague impression de n’avoir pas pu le faire. Sans vraiment d’endroit pour se recueillir, planqué devant un montage photo et un vase qui contenait ses cendres, j’avais offert mes condoléances à sa fille, après quoi j’avais quitté la salle un peu penaud, triste parce qu’elle était morte et qu’on n'irait plus la voir l’été tous ensemble avec la famille élargie autour de sa piscine, mais aussi parce que j’avais le sentiment qu’elle méritait un peu plus de décorum, un peu plus de chaleur et de sacré. Évidemment, comme on ne recourt plus à l’Église pour assurer les rites funéraires, on est laissé à soi-même et ce n’est pas évident. Je ne sais pas ce que les sociologues et les anthropologues diront plus tard sur la façon relativement nouvelle que l’on a d’enterrer nos proches, mais d’offrir une dernière cérémonie devant une urne et une photo révèle forcément quelque chose sur notre époque et notre rapport à la mort… 

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Je me souviens d’une Pâques il y a une vingtaine d'année où le grand-père d’une ex me racontait comment anciennement on veillait les morts; à la maison, pendant plusieurs jours et plusieurs nuits. Comment on les pleurait, avec de vrais pleureuses qui se forçaient à nous tirer les larmes. Et comment ça pouvait aussi déraper solide! Après quelques jours à partager la bouteille et à côtoyer le maccabée, on devenait un peu moins intimidé et l’envie de jouer des tours pouvait nous prendre. Le grand-père riait encore de la fois où l’épouse du défunt avait non seulement crié de ne plus voir le corps de son mari dans le cercueil, elle s’était évanouie lorsqu’elle l’avait aperçu suspendu par les bretelles derrière la porte..! L'expression "trop c'comme pas assez"  prend tout son sens quand on compare avec les rites d'aujourd'hui.

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Quelques jours avant son décès, bien que très affaibli, mon père avait insisté pour qu’on lui fasse de belles funérailles. On le lui avait promis même si on s’était jamais pratiqué avant... Son frère ainé avait suggéré qu'on fasse affaire avec le salon funéraire d’une de ses connaissances. On avait suivit ses conseils, ça nous avait évité de magasiner. Et ça doit pas être évident de magasiner des funérailles quand on y pense... Bien que construit près d’une autoroute, le complexe — c'était plus un complexe qu'un salon — était situé à l’orée d’un boisé. L’intérieur était vaste et élégant. La chapelle, avec son très haut plafond et sa grande fenestration, laissait entrer avec abondance la lumière naturelle. On s’y sentait bien, c’était manifestement un endroit qui favorisait le recueillement. Mais l'endroit à lui seul n'aurait pas suffit à faire de cette cérémonie le beau moment qu'il devint; l’intelligence et la sensibilité du célébrant avait aussi beaucoup aidé. Il venait, pour ainsi dire, avec le forfait (!), forfait suggéré par un des employés de la place, un homme dans la soixantaine qui avait très bien su nous accompagner. Celui qui allait officier les funérailles était issu du clergé catholique, peut-être un vicaire. Mon père y tenait, il avait demandé les derniers sacrements même s’il n’avait pas mis les pieds dans une église depuis des décennies. Le célébrant était un homme vigoureux, qui se tenait bien droit et dont la voix était à la fois chaleureuse et autoritaire. Ma mère et moi avions échangé quelques mots la veille au téléphone avec lui mais c’était comme si nous avions discuté pendant des heures. Un vrai pro, il donnait l’impression d’avoir connu mon père. Pour s’adresser à tous ceux qui étaient venus rendre un dernier hommage, il avait choisi des passages de l’Ancien et Nouveau Testament qui mettaient en relief le sens de la vie et celui de la mort (l'amour crisse..!), tout en sachant être réconfortant. Ses oraisons duraient juste le temps qu’il fallait. Il nous guidait avec assurance pour la prière et invitait quand leur tour était venu ceux et celles qui devaient venir prendre la parole. Je chantai avec ma soeur une chanson à propos d’un petit chalet sur une île où nous avions l’habitude d’aller en famille, et mon père à la chasse avec ses amis l’automne venu. Un invité de dernière minute de son frère cadet entonna l’Ava Maria. C’était un ténor italien dont l’interprétation magnifique et bouleversante résonna partout dans la chapelle et secoua toute l’assistance. 

Tout cela se passa pendant que mon père était exposé dans son cercueil, ce qui ajoutait forcément à la cérémonie un aspect sacré, solennel; ce n’est pas tous les jours qu’on a sous les yeux le corps mort d’une personne qu’on a aimée. C’était au mois de mai et les tulipes que mon père avait plantées dans la cour qu’il avait transformé au fil du temps en un grand jardin étaient sorties de terre. Les petits-enfants et tous ceux qui le désiraient avaient déposé dans son cercueil les tulipes que nous avions cueillies avant de quitter la maison. Cela aussi avait été très touchant. J’avais pour ma part beaucoup apprécié le moment passé seul en sa présence, alors que j’étais revenu en catimini dans la chapelle pendant que continuait dans une salle adjacente une réception pour les invités. De pouvoir déposer un dernier baiser sur son front avait bouclé la boucle amorcée quelques mois auparavant alors que le diagnostic d’un cancer foudroyant m’avait laissé incrédule. 

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Mon père n’a pas qu’eu de belle funérailles, il a aussi eu une belle mort. Du moins j’aime le penser, j’espère que je ne me trompe pas. J’ignore à quel point cela est plus important pour nous que pour celui qui s’en va mais j’imagine qu’il est plus… facile..? de s’éteindre chez soi qu’à l’hôpital. Ma mère avait appelé un organisme bénévole qui aide les gens à mourir à la maison et ils étaient venus installer un lit dans le salon. Une infirmière passait tous les jours. Nous avions pu célébrer Pâques tous ensemble et ma conjointe lui avait chanté l’Ave Maria en lui tenant la main. Ce fut beau et intense. Cela faisait 2 jours que mon père n’ouvrait plus les yeux lorsque son âme l’a quitté. C’était en fin de journée et le ciel était noir et pluvieux. Quelqu’un est allé chercher du homard et nous avons bu du vin. Ma fille qui n’avait pas un an s’est mise à marcher pour la première fois. La vie continuait. 

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On tend à l’oublier, l’être humain est un animal éminemment symbolique. Il y a certes des cérémonies à ré-inventer mais au-delà de l’opinion qu’on peut avoir sur l’au-delà, notre époque a peut-être sous-estimé les rituels, leur pertinence, leur nécessité, le rôle qu’ils ont à jouer dans les étapes de la vie. Je dirais qu’en plus de celui de mon père, j’ai eu à vivre 2 autres deuils importants. Et les 3 fois, tout mon être fut secoué par d’immenses vagues de chagrin, comme si mon corps expiait une douleur qui provenait de tréfonds inconnus et dont mon physique prenait simultanément acte, une douleur qui s’était accumulée au fur et à mesure que l’inéluctable se dessinait. Mais une fois les secousses terminées, il y a une paix qui s’installe et qui aide à accepter l’épreuve à laquelle on fait face. Plus j’y pense et plus je crois que les rituels sont là pour favoriser ce genre de moment, souligner la sacralité de ce qui se passe et qui est immanent à l’existence, et ce, peu importe ce qu'on l'on pense de la transcendance.

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Mais il paraitrait que la tendance se renverse. Selon un invité entendu cet automne à l’émission « Y’a du monde à messe », l’exposition du défunt serait à nouveau prisée parmi les amateurs de funérailles. Je blague mais j’étais surpris et à la fois heureux de l’entendre. Heureux est un peu fort mais disons que j’y voyais là une prise de conscience sur la nécessité de ramener un peu de sacré dans nos vies. Nous sommes passés en un temps record de société hyper religieuse à une société non pratiquante et on peut dire que ça parait beaucoup quand vient le temps d’enterrer nos morts. 

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Je peux juste parler pour moi mais je ne crois pas être le seul qui trouve important de pouvoir voir une dernière fois le corps sans vie d'une personne qu’on a aimée quand vient le temps de lui dire adieux. Au-delà de ce que je serais capable d’en dire, cela participe à quelque chose d’insaisissable, qui nous amène ailleurs, nous ramène forcément à notre propre mort et nous oblige à nous arrêter.

Tout ça pour te rappeler Suzanne que j’aime mieux te voir ratatinée que pas pantoute. Bon.

#17 Entre l'extase et l'éternité : Chronique de l'Incréé (08-2018) 

D'Éric-Emmanuel Schmitt à Blaise Pascal, en passant par Jean de la Croix et de nombreux Born again, ils sont plusieurs à avoir évoqué la Nuit de Feu, nuit pendant laquelle un intense brasier intérieur semble brûler l'âme, la purifier, pour par la suite la laisser baigner dans la félicité, révélant ainsi la pleine mesure du mot miséricorde. Je peux comprendre qu'on soit dubitatif face à de tels témoignages mais on ne peut nier les similitudes que partagent beaucoup de ces compte-rendus, et ce, peu importe l'époque ou la contrée d'où ils proviennent. Il s'agirait là d'un état de coeur et d'esprit certes rare et particulier, mais dont l'occurence est manifeste pour quiconque s'y intéresse. Bien sûr, on peut questionner la stabilité psychologique de certains saints dont le jeûne et les mortifications ont certes pu altérer considérablement leurs facultés, mais on peut aussi constater - à la lumière du récit d'Éric-Emmanuel Schmitt ci-bas par exemple - que si un point de rupture semble nécessaire pour pouvoir accéder à cet état, il n'a pas besoin d'être extrême pour autant. Et je pense bien pouvoir parler ici en toute connaissance de cause. J'ai quelques fois fait référence au cours de ce blogue à ce bel après-midi de l'été 2004 où ma compagne de l'époque, revenant du travail, m'a trouvé sur le lit, les bras en croix, extatique et pleurant littéralement de joie. 

C'est que j'étais justement entrain de traverser cette Nuit de Feu...

 

 

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Merde, j'avais complètement oublié d'appeler Luc. Je pris le combiné et je composai son numéro sur le champ. C'est sa blonde qui répondit. Luc n'y était pas mais m'ayant au bout du fil, elle en profita pour m'informer qu'il n'allait pas très bien depuis quelques temps. D'apprendre cela me secoua. Et comme ça faisait quelques jours que j'étais censé l'appeler, je ne pus m'empêcher de penser que mon oubli avait peut-être ajouté à son mal-être, ce qui me remua davantage, au point où j'eus la sensation qu'une vague de compassion m'emportait et que je pouvais réellement ressentir le tourment de Luc. C'en était presque exagéré. Non pas qu'il soit anormal d'avoir de l'empathie pour un ami qui a le moral dans les talons, mais l'intensité avec laquelle je percevais la situation était inhabituelle, pour ne pas dire disproportionnée. Mais telle une vague, cela finit par passer au gré de la conversation que j'avais entamée avec sa blonde, blonde que je connaissais quand même bien. L'être humain est généralement complexe mais certains le sont plus que d'autres. La copine de mon ami appartenait définitivement à la seconde catégorie. Elle non plus n'était pas à son meilleur. Elle avait commencé à m'entretenir des problèmes qu'elle rencontrait et dont la plupart étaient de nature familiale. J'écoutais patiemment, et lorsque je pouvais lui suggérer une solution que j'entrevoyais ou une manière différente d'aborder le conflit qu'elle m'exposait, je pouvais noter qu'elle ne tenait pas vraiment compte de mes suggestions, passant très vite par-dessus, évitant de réellement considérer les arguments que je lui amenais. C'était peut-être présomptueux de ma part de penser que je pouvais l'aider en quoi que ce soit mais il m'apparut dès lors évident qu'elle n'était pas intéressée par la résolution de ses problèmes, comme si leurs racines étaient trop profondes et que d'une certaine façon, les résoudre devait nécessairement passer par un détachement qu'elle ne voulait, ou n'arrivait pas à envisager. J'eus alors la vision très claire que son esprit était une sorte de circuit fermé, qui ressassait toujours les mêmes patterns, ce qui provoquait inlassablement les mêmes réactions néfastes pour son humeur. Je compris du même coup qu'il n'y avait rien à faire, qu'elle était prisonnière d'un cercle vicieux dont elle n'arriverait pas à s'expulser, du moins pas pour le moment. Et de le constater m'attrista grandement, en même temps qu'une 2e vague de compassion, encore + grosse que la première, prenait son élan et se préparait à m'entrainer avec elle. Il s'agissait vraiment d'un mouvement du cœur qui allait en s'accentuant, et dont on pouvait pressentir le pic et l'intensité qui suivrait, étonnamment similaire au mouvement des vagues dans la mer. Je raccrochai, un peu confus par le trop-plein d'émotions que je ressentais. Un peu inquiet aussi.

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C'est que je me doutais qu'une 3e vague se préparait et que son amplitude dépasserait les 2 précédentes. Ça peut sembler bizarre comme ça de craindre d'être submergé par un excès de compassion, mais ce n'était pas tant cela qui m'angoissait que le changement qui s'opérait tranquillement dans ma psyché, comme si j'approchais les limites d'un étrange et nouveau territoire, accessible par une brèche qui n'aurait pas dû s'ouvrir. La vague avait bel et bien amorcé son mouvement et cette fois-ci, c'était sur l'humanité toute entière que ma compassion avait jeté son dévolu..! Sentant que je perdais pied, je décrochai le combiné et j'appelai ma blonde à son travail. Au bord des larmes, je lui dis que ce serait bien si elle pouvait rentrer à l'appartement, que je me sentais vraiment bizarre et que tout serait tellement plus simple si on s'aimait les uns les autres, si on se souciait un peu plus les uns des autres. Dans mon esprit, ce souhait n'avait rien d'utopique. J'étais vraiment sincère, il suffisait seulement qu'on s'y mette tous. Maintenant. Juste ça. Mais de savoir que cela ne serait pas pour demain, que l'humanité repousserait encore l'atteinte de cet idéal, cela m'emplit à nouveau de compassion pour tous ceux qui souffraient et la 3e vague, gigantesque, s'abattit sur moi et m'engloutit. Dans mon tourment, la phrase " Ce que tu fais aux autres, c'est à toi-même que tu le fais " vint à mon esprit et sa vérité m'apparut implacable, indéniable, aussi vraie que le ciel est bleu lorsque le soleil y trône à son zénith. Mon cœur était immense et j'étais complètement désorienté par la démesure de ce que je vivais et absorbais.  

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Plus rien n'allait, mon esprit perdait ses repères. On aurait dit que la réalité commençait graduellement à se dissoudre. Puis je me sentis happé vers le haut, comme si un énorme aimant invisible était suspendu au-dessus de ma tête et m'aspirait vers lui. J'en étais rendu à me déplacer nerveusement sur la pointe des pieds dans le petit salon de la chambre, paniquant à l'idée de partir je ne savais où. Toujours dressé sur le bout des orteils, je m'immobilisai à côté du lit, résistant du mieux que je pouvais à la force d'attraction que mon être tout entier rencontrait, jusqu'à ce que je sente ma tête dégringoler jusque dans mon cœur ! J'entends par tête la façon dont on est habituellement conscient. À cet instant même où j'écris ces mots, si j'avais à situer le lieu où opère ma conscience, je n'aurais pas d'autre choix que de désigner ma tête. Mais là ce n'était plus le cas. Non seulement ma tête et mon cœur ne faisaient qu'un, le bref instant où la descente s'effectua, j'entrevis en accéléré ce qui semblait être le film de dizaines - peut-être même une centaine - de vies antérieures ! Se produisit ensuite une énorme explosion, comme si en fusionnant, mon cœur et ma tête avaient déclenché une immense réaction psycho-nucléaire qui pulvérisa l'espace et le temps. Et aussi invraisemblable que cela puisse paraitre, mon esprit se retrouva propulsé dans le cosmos parmi les étoiles... J'avais l'impression d'être moi-même une étoile dont je n'arrivais pas à déterminer si elle naissait où si elle s'effondrait...

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Mais cela n'avait plus aucune espèce d'importance. Le feu avait foudroyé toutes mes peurs et tous mes doutes, avait réduit en cendres toutes mes fautes, mes croyances, tout ce qui faisait de moi la personne que je pensais être, pour n'en laisser que son expression la plus simple, la plus libre qui soit. Irradié par l'amour et la miséricorde, la joie et la connaissance, je flottais dans l'éternité, là où le temps n'a plus cours. Lorsque toute sa vie on est soumis au joug sans fin des secondes et des minutes, comme il devient apaisant d'y échapper ! Je pouvais constater que mon être, devenu un simple étant, s'allégeait grandement de ne plus avoir à s'éreinter à la tâche constante d'incarner quelqu'un, de maintenir - littéralement - sa réputation et de préserver sans relâche sa cohésion. Le repos psychique qui en découlait me plongeait dans une félicité sans nom, ce qui en retour me faisait réaliser le lourd tribut que l'on avait à payer pour entretenir et nourrir notre insatiable égo. J'étais à même de voir que celui-ci était une espèce d'excroissance qui s'était greffée à la nature incréée de mon être, nature qui contrairement à l'égo, tirait sa source hors du temps ; dans un éternel présent où rien ne commençait ni ne finissait. L'étonnement et le ravissement que procurait cette révélation étaient amplifiés par la simplicité désarmante, le caractère naturel et enfantin de ce qui s'avérait une simple mais ô combien réconfortante évidence. Comment avais-je pu oublier tout cela !? Aussi longtemps ? Je comprenais par le fait même que l'inquiétude qui nous tenaille à chaque instant - cette mamelle à laquelle s'abreuve notre égo, et dont on ne sent même plus le poids ni la présence tellement elle nous colle à la peau - que cette inquiétude originait d'un vaste, très vaste malentendu. Malentendu que notre condition temporelle et notre entendement limité perpétraient, voilant par le fait même la part d'incréé qui n'avait jamais cessé, malgré mon ignorance, d'être la charpente même de mon être ! Incréée parce que vide, sans forme, à l'état d'étant pur, sans début ni fin. C'était donc ça l'éternité ! Non pas une enfilade infinie de séquences mais à l'inverse, une absence de temps, un vide où rien n'est séparé, où aucune distance n'est possible, et où règnent sans partage l'amour et la joie, comme si le vide se réjouissait et s'étonnait lui-même de pouvoir ainsi s'engendrer et devenir le lieu de tous les possibles ! Le vide était bel et bien la forme. Et la forme, bel et bien le vide. Voilà qui devenait enfin clair ( merci Jack ) ! Et cela me parut tout à coup très drôle. À tous les jours, à tout moment, une immense blague cosmique nous est contée, et à chaque fois, le punch nous échappe ! Non seulement j'avais douté de son existence, j'avais aussi grandement sous-estimé son sens de l'humour ; y'avait pas à dire, Dieu était un sacré farceur..! * Au rire intérieur que déclencha cette constatation, s'ajouta la gratitude de savoir que mon intuition était juste, que ma quête n'était pas vaine, qu'il y avait effectivement, incontestablement, un sens à tout cela. Et tout me revenait : Tout cela n'était qu'un jeu, depuis toujours, depuis jamais..! Une grande joute de cache-cache comme l'explique si bien Alan Watts :

"...Now when God plays hide and pretends that He is you and I, He does it so well that it takes Him a long time to remember where and how He hid Himself. But that’s the whole fun of it, just what He wanted to do. He doesn’t want to find Himself out too quickly, for that would spoil the game. That is why it is so difficult for you and me to find out that we are God in disguise, pretending not to be Himself. But when the game has gone on long enough, all of us will wake up, stop pretending, and remember that we are all one single Self, the God who is all that there is and who lives for ever and ever..."

***

Je ne sais pas si l'auteur Jean Bédard a lui-même connu ce genre d'extase pour pouvoir faire parler ainsi Maitre Eckhart dans son roman du même nom mais je dirais que la description suivante complète bien le récit de ce que j'ai entrevu : 

« Dans la petite cachette de l'âme, juste de l'autre côté des bois, je suis allé. C'est là que j'ai éternellement reposé et sommeillé dans la connaissance cachée du Père éternel, demeurant en lui, inexprimé. Dans cet être de Dieu où Dieu est au-dessus de tout être et de toute distinction, j'étais moi-même, je me voulais moi-même, je me connaissais moi-même, voulant créer l'homme que je suis. Et c'est pourquoi je suis la cause de moi-même selon mon être qui est éternel, mais non pas selon mon devenir qui est temporel. La félicité, c'est l'état naturel de l'âme qui assiste et participe à la naissance du cosmos... »

***

J'ignore combien de temps je suis resté ainsi suspendu mais c'est seulement lorsque j'ai entendu mon nom que j'ai réalisé que j'étais couché sur le lit, les bras en croix, braillant de joie. Je revins graduellement à moi-même alors que ma blonde inquiète se demandait ce qui se passait. Complètement hébété, encore sous le choc et l'emprise de ce que je venais de vivre, j'avais du mal à rassembler mes esprits et à expliquer quoi que ce soit tant tout cela était extraordinaire. Mais au-delà du caractère exceptionnel de l'expérience, c'était avant tout l'inadéquation du langage pour décrire ce que j'avais vécu qui s'érigeait en obstacle. Ineffable est un mot qu'on rencontre souvent lorsqu'on lit sur les expériences mystiques et effectivement, la description des événements que je viens de faire ne saurait rendre compte de ce qui a été réellement vécu étant donné la nature essentiellement duale, binaire du langage. Cela a été évoqué à travers d'autres carnets, le langage est un procédé dualistique qui repose sur la contradiction. Et bien que ce mode de communication soit parfaitement adapté pour le Dualistan - notre plancher des vaches - il perd de sa pertinence lorsqu'on traverse dans l'Unistan – où la contradiction n'existe plus –, et encore plus lorsqu'on en revient. Il n'est pas étonnant que l'on soit épris de vertige lorsqu'on se met à penser au début des temps et ce qu'il y aurait avant ou après. Étant donné que le caractère non-dual de ces considérations échappe à notre entendement, le langage n'arrive tout simplement pas à exprimer d'une manière satisfaisante une proposition qui fait du sens...

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Bien qu'une immense joie continuait de m'habiter, le retour sur terre ne se fit pas sans heurts. L'expérience avait libéré une telle énergie que je n'ai pas pu dormir pendant les 2 jours qui ont suivi mon extase, et j'ai dû sommeiller 2-3 heures par nuit pendant les 2 semaines qui suivirent. Aussi, comme la compréhension globale des ouvrages spirituels que j'étais entrain de lire augmenta significativement, je me transformai en un insupportable verbo-moteur. Et je n'avais plus peur de rien ni de personne, ce qui aurait pu me mettre dans le trouble, notamment la fois où je suis allé remettre une canette qu'un douchebag-en-roller-blade-sur-stéroïdes-en-chest-comme-ses-deux-amis avait lancée dans l'entrée d'une ruelle. Ramassant la canette, je me suis mis au pas de course pour le rattraper sur la piste cyclable et la lui tendre en disant : "J'pense que t'as échappé ça..." J'appris toutefois rapidement à me la fermer quand je constatai qu'on commençait autour de moi à s'inquiéter de ma santé mentale. Mais il y avait définitivement quelque chose dans l'air, comme en témoigne la série d'événements bizarres qui se déroula quelques jours après. Alors que j'étais dans la cour avec quelques amis, passa dans la ruelle un magicien saoûl qui insista pour se joindre à nous et nous faire son numéro - qu'il ratait immanquablement étant donné son état -, le tout sous un ciel jauni par un incendie qui s'était déclaré sur la rue voisine tandis qu'un chat dévorait un oiseau qu'il projetait dans les airs de temps en temps avec sa gueule juste à côté de moi... Et comme si ce n'était pas assez, juste devant la fenêtre du petit salon qui donnait sur la rue où j'étais allé prendre une pause de l'étrange cirque qui se déroulait dans la cour, un passant affublé d'une cape déclama avec vigueur :

" Oh what a joy ! / You quenched your thirst / But don't worry boy / Everything's gonna get worst..."

 Ça ne s'invente pas ! J'avais vraiment l'impression que l'univers me tenait dans sa ligne de mire, comme si je devais passer par une sorte d'anti-extase qui provoquait du coup son lot d'événements particuliers... J'aurais pu croire que je basculais dans la folie si ça n'avait pas été des livres que j'étais entrain de lire, dont le roman Maitre Eckhart cité plus haut, et qui me rassuraient sur la nature de ce que j'avais expérimenté. Aussi, je dois l'admettre, je trouvais un certain réconfort dans les paroles ( prémonitoires ? ) de certaines de mes chansons que j'étais entrain de mixer et dont le sens se révélait maintenant sans détour : 

 " L'amour m'emporte dans un grand vent, et m'éblouit de sa lumière, jusqu'à la fin des temps  

Non je n'ai jamais vu autant, autant d'amour depuis que je cesse 

De penser qu'il est important 

D'être soi-même 

Il suffit d'être "

 

 

Ou encore : 

" Je suis seul en apesanteur, juste assez haut pour me faire peur 

Et je sais plus comment revenir, ni tout ce qui vous fait tous courir 

J'exige des explications, j'exige des explications "

( Rage de dent )

 

 

 

Mais le passage suivant était le plus étonnant. J'ignorais ce qu'il pouvait signifier à l'époque où je l'ai écrit mais comme j'aimais comment ça sonnait, j'avais décidé de le garder tel quel : 

" Et quand je serai revenu à moi

C'est qu'il sera trois heures et trois 

Le jour comme la nuit, c'est une loi "

( Quand je suis à côté de moi )

 

 

Mine de rien, cette nuit de feu s'est déroulée en plein cœur d'un bel après-midi d'été, alors que j'avais 33 ans... 

***

Mais les choses revinrent lentement à la normale et je décidai de mettre tout ça derrière moi, non sans avoir préalablement sérieusement considérer l'option de tout abandonner pour me consacrer exclusivement à ma quête spirituelle. On comprendra encore plus mon inclinaison pour le mysticisme et les sujets abordés dans ce blogue à la lueur de ce que je relate dans ce carnet, ce qui ne veut pas dire que j'ai gagné en sagesse pour autant... Mais de se remémorer à nouveau cette expérience à travers l'écriture m'a redonné le goût d'y revenir, pas tant à l'expérience comme telle qu'à l'état d'esprit que je cultivais quand cela m'est arrivé. Aussi, sachez en terminant que l'automne amènera son lot de nouveaux projets, principalement en musique. Pour cette raison, il se pourrait bien que ce carnet soit le dernier pour un bon bout. Je compte continuer de nourrir ce blogue mais sans nécessairement observer la discipline à laquelle je m'étais obligé lors de mon carnet d'introduction. 

Merci à ceux qui m'ont suivi, j'espère ne pas vous avoir trop dérouté..! 

À+ 

 

* Pour ce qui est du côté sinistre de cette blague - l'existence du mal - , sachez qu'Alan Watts aborde la question sur le lien que j'ai mis + haut ( et remis ici ) .

#23 Féminisme, Christianisme et Évolution  

J’avoue avoir de la difficulté à me positionner sur le féminisme. Il faut dire que je n’ai pas de misère à trouver dans mon entourage des femmes qui réussissent bien et qui hésiteraient je crois à blâmer leur féminitude pour les obstacles qu’elles ont rencontrés. Il faut aussi reconnaitre que beaucoup de chemin a été parcouru au cours des dernières décennies et que la condition féminine s’est grandement améliorée, comme en témoigne entre autres depuis peu le fait que la majorité des diplômés issus des cycles d’études secondaire, collégial et universitaire sont des femmes. C’est un important rattrapage qui continue son cours et qui finira inévitablement par inverser beaucoup de tendances. Ceci étant dit, mes hésitations sur mon positionnement ont beaucoup plus à voir avec le fait que je sois… un homme..! Bête de même. Disons que je ne peux pas parler en toute connaissance de cause. Et de ce que je suis capable d'en déduire - personnellement, empiriquement, ici au Québec -  la situation autour de moi me semble plus qu'acceptable; les égarements et le manque de jugement de mes semblables dont on fait état dans les médias ces jours-ci ne semblent pas être un modus operandi que mes amis utilisent. Mais je dois avouer qu’une expérience vécue l’été dernier m’a amené à repenser ma position, ou plutôt mon absence de position sur la question. Peut-être pas sur le féminisme comme tel, mais plutôt sur ce qu’implique d’être une femme, sur les réflexes, les habitudes inconscientes et bien ancrées qui régissent les rapports entre les 2 sexes. J’ai moi-même réalisé la chose seulement plusieurs jours après les événements. Sur le coup, je n’avais rien à redire surtout que ça s’était très bien passé. Je n’avais pas du tout remarqué à quel point j’avais participé d’une manière bien involontaire à l’élaboration d’une scène mille fois répétées… 

Bien que je sois co-fondateur de la chorale Choeur de Loups, celle-ci doit incontestablement son âme et son essor à Marie-Josée Forest. Sans elle, cette emballante aventure n’aurait jamais vu le jour. Ce qui était à la base une idée toute simple - chanter en groupe, sans audition et sans partition, divers hits des années 60-70 et 80 -, cette idée rencontre un franc succès et suscite encore à ce jour une joie palpable chez tous nos participants. La qualité des harmonies et des arrangements à 3 voix que nous finissons immanquablement par maitriser à la fin de chaque séance ne cesse de m’étonner. Bref, le mot s’est passé et est parvenu au mois d’août dernier jusqu’aux oreilles de l’équipe de l’émission radiophonique du matin de Stéphan Bureau qui préparait un segment sur les bienfaits de chanter en groupe. On nous a invité Marie-Josée, moi et une choriste à se joindre à un spécialiste sur la question afin de témoigner et d’échanger sur le sujet.

Une autre émission nous ferait la même demande quelques jours après. Et dans les 2 cas, le même phénomène s’est produit : les animateurs prirent pour acquis que j’étais le directeur de la chorale..! Cela était d’autant plus surprenant que rien sur le site, ni dans les questions des recherchistes, pouvaient laisser penser que c’était le cas. Il est même bel et bien stipulé que c’est Marie-Josée la cheffe de choeur. J’aurais dû sur le coup reprendre les animateurs mais pour une raison qui m’échappe, je ne l’ai pas fait, préférant passer par-dessus la méprise et répondre sans détour aux questions, questions qui m’étaient d’ailleurs dirigées plus souvent qu’à mon tour. Marie-Josée a fini par rectifier, avec humour et en douceur, mais ce n’est que 2-3 jours après que j’ai réalisé qu’un sexisme subtil et inconscient avait probablement influencé le comportement de tous et chacun… et que si dans un contexte détendu - un studio de radio où il est simplement question d’échanger sur les bienfaits de la musique - qu’en est-il lorsqu’on évolue dans un milieu de travail où la compétition entre collègues entre souvent en jeu..? Je me posais une question qui ne m’était jamais vraiment venue à l’esprit, je dois l’avouer. 

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Il peut être hasardeux de mêler évolution, histoire et sociologie. Et comme séparer la culture de la biologie devient une tâche impossible quant on se penche sur l’évolution au sens large de l’Homo Sapiens, il est difficile de prouver hors de tout doute que tel ou tel trait culturel est effectivement un processus évolutif que l’espèce a adopté afin de favoriser sa survie. N’étant pas un spécialiste de la question, je ne me prononcerai pas sur la chose si ce n’est pour dire qu’il serait dans notre intérêt de comprendre qu’il y a en jeu des processus évolutifs qui nous dépassent, et qu’au delà des nombreux drames individuels qu’impliquent les rapports hommes-femmes et la vie en société en général ( violence conjugale, suicide, etc. ), ceux-ci sont fortement influencé par des mécanismes qui ont leur logique propre. Il ne s'agit pas d'excuser qui que ce soit mais de mieux cerner d'où viennent nos patterns, de prendre en compte qu'ils ont souvent une origine très lointaine. Bien entendu, l'Homo Sapiens a la capacité de modifier plus que toute autre espèce son destin mais celui-ci demeure toutefois fortement influencé par des lois naturelles, évolutives, qui sont beaucoup plus présentes et puissantes qu'on ne l'imagine. D’en prendre plus conscience éviterait de polariser les positions et de braquer davantage ceux qui en débattent. Il est également intéressant de noter que d’un point de vue strictement évolutionaire, les femmes ne sont pas que perdantes quand on considère que les stratégies mises en place par la Nature les favorise systématiquement en ce qui concerne l’espérance de vie.

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On l’oublie souvent mais nous vivons dans un confort que nos ancêtres n’auraient même pas pu imaginer quand on pense aux conditions qu’ils devaient affronter il y a pas si longtemps. Et jusqu’à récemment, que l’on soit homme ou femme ne changeait pas grand chose à l’issue, il y avait de fortes chances que vous mourriez avant 40 ans ; votre vie miséreuse vous aurait usé beaucoup plus rapidement qu’aujourd’hui. C’était aussi un monde où la violence était omniprésente si on compare avec aujourd’hui. Autant au quotidien; les moeurs, la justice et le droit se sont beaucoup raffinés depuis, qu’en temps de guerre; beaucoup plus fréquent, il va s’en dire. On ne s’étonnera pas qu’avec ces conditions, le christianisme ait à ce point foisonné. L’idée d’un dieu qui s’incarne afin de prendre sur lui les péchés du monde, souffrir dans sa chair pour sauver l’humanité, ce récit devait avoir une résonance dont plusieurs dimensions doivent forcément nous échapper aujourd’hui. Mais bien que les éprouvantes conditions de vie des siècles précédents soient choses du passé pour nombre d’entre nous, il semble qu’une importante souffrance psychologique ait pris le relais. Je ne pense pas pour autant que l’on doit s’attendre à une résurgence du christianisme, mais l’étonnante conclusion - mystique à souhait - du dernier Houellebecq peut laisser penser qu’il y a peut-être encore un peu d'espoir en Occident pour cette religion. Il est facile d’imaginer que d’autres puissent imiter le personnage central de Sérétonine qui, en proie à une lente agonie psychique, s’en remet au Christ. Ce ne serait pas la première fois que l’intuition de Houellebecq s’avère juste. Et que dire de la conversion de Kanye West et des millions de fans qui adhèrent à son message et son gosp/hop inspiré..! Il y aurait évidemment plein de choses à dire sur le rôle des femmes dans l’Évangile - on peut quand même facilement trouver des passages où Jésus apparait comme féministe avant l’heure, c'est à des femmes qu'il décide d'apparaitre en premier après sa résurrection - contrastant en cela avec la manière dont l’Église les a injustement traité. 

Je m’égare un peu mais il m’arrive de penser que le christianisme, tel un fruit, a en mourant su semer les graines de son idéal, que son message de base, "Aimez-vous les uns les autres", a fini par laisser une marque durable, même si cette religion a aussi motivé bien des actions contraire à ce qu'elle prêchait. Certains ajouteront que contrairement au Judaïsme et à l'Islam, le monothéisme chrétien a favorisé sur le long terme la séparation de l'Église d'avec l'état. Des phrases comme "Mon royaume n'est pas de ce monde" ou "Rendez à César ce qui appartient à César" sont en porte-à-faux avec la tradition juive et le Coran qui dictent dans le détail la conduite de ses fidèles dans la vie quotidienne. Le christianisme à cet égard est pas mal plus slack. Et Jésus s'est d'ailleurs attiré les foudres du clergé de l'époque entre autres parce qu'il n'observait pas le sabbat. Il référait souvent à l'esprit de la Loi et affirmait que les rites étaient en soi vides si on les accomplissait seulement pour les accomplir... Il y aurait beaucoup à dire sur la religion du point de vue de l'évolution. Et contrairement à ce que Richard Dawkins avance, la religion serait bien plus qu'un "mind virus", elle a toute les caractéristiques d'un trait évolutif qui favoriserait la survie de l'espèce. Le contraire irait à l'encontre même de la logique évolutive quand on y pense! Pour ceux que ça intéresse, le vidéo qui termine le texte - où il est question d'un débat entre Dawkins et Bret Weinstein - parle de ce sujet ( à partir de 3:30). Bref, corrolation is not causation mais il est difficile de ne pas faire de liens entre l'Occident, le Christianisme et les Droits de l'Homme. Et c’est justement parce que ces principes d’égalité sont maintenant inscrits au coeur des sociétés occidentales qu'il m'est d'avis que le futur, pour le mieux-être de tous, s’écrira de plus en plus au féminin.

#8 Jack Kerouac: autofiction et bouddhisme 

Ce n'est pas pour rien si j'ai mis le mot discipline dans le titre de ce blogue. Non seulement ça me sert de rappel, ça me donne aussi un alibi pour écrire. Je me suis peinturé dans le coin, j'en avais besoin, et c'est parfait comme ça. Ça a aussi eu pour effet de me remettre à la lecture. Ça faisait longtemps et ça fait du bien. Sauf dernièrement quand je me suis retrouvé dans l'intimité anxiogène d'Un roman russe d'Emmanuel Carrère. C'était loooouuurd... J'espère sincèrement qu'il va bien aujourd'hui et que l'écriture de ce roman lui a apporté la paix qu'il en espérait. Rien à voir en tous cas avec Mardi comme mardi, le récit qui-se-lit-d'une-traite de Michèle Nicole Provencher. Malgré les malaises, les malentendus et la solitude engendrés par la situation familiale difficile et inhabituelle qu'elle a vécue, un optimisme et une légèreté traversent le livre. Disons qu'après Carrère, c'était plus que bienvenu. Y'a juste l'histoire du lave-vaisselle... J'espère qu'elle aussi va bien.  

J'avais pas réalisé mais une bonne proportion de ce que je lis est de l'autofiction. Même La transmigration de Timothy Archer, un livre de Philip K. Dick qui m'a marqué, est en grande partie un récit biographique, aussi incroyable que l'histoire puisse paraître. Je ne ne connais grand chose à l'histoire de la littérature et à celle de l'autofiction en particulier, mais Jack Kerouac a certainement donné quelques lettres de noblesse au genre. Et si d'autres y ont contribué avant lui, le souffle poétique de son oeuvre lui confère une place unique en ce qui me concerne. Souffle qu'il a su développer grâce aux différentes techniques qu'il a conçues et travaillées afin de pouvoir écrire plus librement. "Remplis des carnets secrets et tape à la machine des pages frénétiques, pour ta seule joie" car "Des flashes visionnaires tremblent au fond de ta poitrine, saisis-les", prodigue-t-il entre autres comme moyen d'accéder à ce qu'il a baptisé la spontaneous prose. Faut savoir que généralement, je ne suis pas quelqu'un qui trippe littérature. J'entends par là que je ne suis pas exigeant en terme d'écriture, en autant qu'on sache comment me raconter une histoire. Par exemple, je ne dirais pas de Philip K Dick qu'il écrit bien; c'est paradoxal mais son talent de romancier réside ailleurs que dans son écriture. Même chose pour Emmanuel Carrère; j'aime le suivre dans les tableaux qu'il dépeint et les climats qu'il installe, mais pour ce qui est de son écriture comme telle, je ne saurais quoi en dire, ce qui est le cas de la plupart des auteurs que je lis soit dit en passant. Et si de temps en temps il m'arrive de tomber sur une écriture un peu plus stylisée, cela ira rarement jusqu'à me bouleverser. Sauf avec Jack Kerouac. Ces dernières années, je parcours les journaux de bord et l'abondante correspondance qu'il a laissés derrière lui. Ce qui saisit à leur lecture, outre les perles sur lesquelles on finira immanquablement par tomber*, c'est de constater à quel point Kerouac ne pouvait vivre sans écrire. J'ignore d'où sort la citation mais je sais que William Burroughs - un de ses collègues de la Beat Generation, mouvement littéraire que Kerouac a pour ainsi dire fondé - aimait rappeler que Jack avait déjà écrit 1 millions de mots de concevoir On the road.

Ce livre fut pendant longtemps le seul de ses livres que j'ai lu, jusqu'à ce que je ne tombe sur un recueil de ses carnets appelé Some of the Dharma. Et quel choc ce fut. Je n'aurais jamais pensé qu'un auteur reconnu pour son vagabondage, ses frasques, ses partouzes, et surtout son alcoolisme, puisse m'instruire sur le bouddhisme... Cela faisait quelques années que je tentais de me familiariser avec cet enseignement, mais lecture après lecture, des zones d'ombres persistaient. Les notes de Kerouac sur lesquelles je suis tombé au fur et à mesure que je parcourais l'étrange recueil qu'est Some of the Dharma allaient m'aider à mieux comprendre un tas de chose.  Ses questionnements et les réponses qu'il y apportait me donnait l'impression de l'entendre penser tout haut, ce qui facilitait ma compréhension de certains énoncés et principes bouddhistes. Le plus surprenant, c'était de tomber sur des passages écrits en français. Je me souviens de la traduction, dans la marge, en écriture manuscrite, qu'il avait fait d'une phrase d'un sutra, l'équivalent d'un verset pour les bouddhistes: « Y'é fou comme un bala ». Bala signifiant je ne sais plus quoi en sanskrit... Je me souviens aussi d'avoir trouvé ses écrits sur le vide très éclairants et certains passages m'ont même laissé l'impression que j'étais son compagnon de route tellement son témoignage rejoignait ce que j'essayais de saisir.  

J'ai eu par la suite un 2e choc en l'entendant parler français sur Youtube. L'entrevue qu'il a donné à Fernand Séguin en 1967 à l'émission le Sel de la Semaine nous montre un Jack Kerouac somme toute assez éloquent malgré son état d'ébriété (?). Mais ce n'est tant son état que son accent qui est déstabilisant, du moins les premières fois qu'on l'entend :

- Fernand Seguin, l' ( excellent! ) animateur : " Si vous aviez 20 ans aujourd'hui feriez-vous la même chose que vous avez faite ? "

- Jack : " Ben j'lai déjâ faite, ch'tanné ! "  

Quand on pense à un des grands écrivains américains du siècle dernier, on ne s'attend pas nécessairement à ce qu'il parle français, un français du terroir, et encore moins de cette manière. Il est difficile de concevoir que le Jack qu'on peut entendre sur ce disque, réciter ses poèmes accompagné d'un quartette jazz, parlait comme ça avec sa mère quand il revenait chez lui à la maison..!

Mais Il faut entendre Jack Kerouac pour comprendre comment le souffle présent à l'état brut dans son écriture devient carrément de la musique lorsqu'il ouvre la bouche. Sa foi, sa joie, sa soif, ses doutes, sa douleur, on y entend tout ça, comme on peut le constater dans l'extrait qu'il récite plus bas, accompagné au piano par son hôte sur le plateau d'une émission de télévision. Aussi, on comprend, on entend mieux pourquoi il écrit sur des rouleaux, pourquoi il ne veut pas se laisser absorber par quoi que ce soit d'autre alors que lui apparaissent ses visions . "1000 mots mystérieux de plus qui s'échappent de moi dans une transe d'écriture pendant que je tape" qu'il nous raconte dans son journal du jeudi 17 novembre 1948, alors qu'il planche sur On the road. Moi qui ai parti ce blogue pour entre autres exercer ma créativité d'une manière justement plus spontanée, me voilà servi! Par son souffle, Kerouac transcende son autofiction, celle-ci devenant un prétexte pour déployer une poésie tellement vivante qu'elle rend presque secondaire la trame du récit. Voilà un autre exemple - modernisé-  de son flow. Et on peut littéralement y entendre ce qu'il veut dire par : "Travaille à partir du centre de ton œil, en te baignant dans l'océan du langage" - la règle #18 de ses 30 principes de la prose moderne . Le pire, c'est que je déteste habituellement les descriptions. Sauf quand c'est Jack qui fait la visite guidée.
 

Mais pour revenir à Some of the Dharma, il y a un drame en filigrane qui s'y joue. Cela faisait quelques années que Kerouac avait terminé On the road et il était convaincu d'avoir écrit un grand roman. Il était déjà célèbre en tant que figure de proue de la Beat Generation, mais n'avait presque rien publié contrairement à ses amis. Il était désespéré qu'aucun éditeur ne veuille sortir son récit, mais il était également, sinon plus, désespéré de rechercher à ce point la gloire et le succès. D'où le refuge qu'il a pris dans les enseignements du Bouddha. Enseignements qu'il ressassait et ré-interprétait constamment, afin de valider sa démarche. Ça donne un ouvrage chaotique et à la fois très vibrant, effet accentué par les nombreuses notes manuscrites qu'on y trouve. Mais si le bouddhisme traversera souvent son œuvre à partir de Dharma bums, il n'en est rien des Journaux de bords 1947-1954 que je lis en ce moment, du moins pour l'instant. Par contre, il évoque, remercie et invoque Jésus assez souvent et fait grand cas de la phrase Mon Royaume n'est pas de ce monde

« Mon Royaume n'est pas de ce monde. » 

« Écoutez sa musique formidable, la musique de la pensée, la sombre musique de la sombre pensée. De toutes les énigmes, c'est la seule énigme. L'Alpha et l'Oméga des énigmes  – je l'appelle une énigme parce qu'elle confond les sens -  

L'énigme de la vie place dans les âmes des hommes une proposition morale, à laquelle ils répondent de manière variée et à toutes les époques.Tous les hommes sont conscients de la proposition, mais la plupart des hommes ignorent sa signification, une signification presque invisible, et vivent des vies résolument distraites et « ne s'en soucient pas ». D'autres hommes, qui connaissent la signification de la proposition, qui savent ce qu'il y a de juste et d'injuste dans la situation énigmatique de la vie, cherchent consciemment à ne pas s'en soucier et voudraient imiter la plupart des hommes, pour être forts. Enfin, quelques hommes souffrent de savoir tout ça et en meurent presque, au cours de leur vie, jusqu'à ce qu'ils puissent peut-être tenir bon leur chagrin et trouver de la force en le tenant mieux encore...»  

J'ai compris plus tard que débauche et spiritualité peuvent être l'expression d'une seule et même chose, que la soif d'absolu qui animait Jean-Louis ** était avant tout spirituelle. Je ne me doutais pas avant de lire Kerouac qu'un roman pouvait parler de ces choses-là. Et que ça pouvait être à ce point beau, sincère et bouleversant.

Et c'est pourquoi suivre sa quête est une expérience dont je ne me lasse jamais.

 

*  " Vous saviez que le métro est le plus grand salon de l'humanité? Comment les hommes, les femmes et es enfants pourraient-ils s'asseoir les uns en face des autres, sinon comme dans une maison? Le métro est le petit salon de New-Yrork, sur roues, fonçant dans l'obscurité...l'obscurité..."  écrit-il dans son son journal du mercredi 10 novembre 1948.

** Son prénom véritable.

#7 Jésus le film, de Chardin et le ( relatif ) déficit d'empathie de Patrick Lagacé  

Comme beaucoup de Canadiens français de mon âge, mon enfance a été marqué par une éducation somme toute assez religieuse si je la compare avec celle que reçoivent mes enfants. Ça n'avait rien à voir avec ce qu'avaient vécu auparavant mes parents mais on peut dire que ma génération - je suis né en 1970 - a assisté aux derniers soubresauts de la religion catholique romaine au Québec. Comme on le sait, malgré la désaffection soudaine et massive des fidèles, les rites de passage tels le baptême, la 1ère communion et la confirmation, ont continué d'être célébrés. On peut aussi dire que les fêtes de Noël et de Pâques étaient encore empreintes d'une certaine religiosité. Bien entendu pour Noël, la messe de minuit contribuait beaucoup à cette atmosphère. Pour Pâques, la diffusion du film Jésus de Nazareth aidait à nous rappeler quel était l'objet de cette célébration. D'une manière assez brutale, il va sans dire... Assister à la crucifixion du Christ au petit écran fut pour l'enfant que j'étais un événement assez marquant merci. Ma mère m'en reparle souvent tellement j'étais inconsolable. Il faut dire que j'étais devenu un grand fan de Jésus depuis qu'on m'avait enseigné à l'école qu'il était le fils de Dieu, qu'il guérissait les malades et qu'il nous demandait juste de nous aimer les uns les autres. Juste des belles choses, que le spectacle de son exécution rendait d'autant plus insensé. Je crois bien que c'est le premier mort que j'ai pleuré.  

 

Comme bien des adolescents, mon lien avec Jésus s'est affaibli graduellement, pour complètement disparaitre à l'âge adulte. Mais je peux dire que j'ai eu le temps de développer avec lui une relation solide, assez pour prier tous les soirs avant de m'endormir. Rien de tel n'existe chez mes filles. Elle ne semblent pas entretenir de lien avec la religion, bien qu'elles aient des interrogations à ce sujet de temps en temps. Mine de rien, ce ne sont pas toutes les générations qui peuvent dire qu'elles ont vu devant leur yeux une religion s'éteindre... Ce qui ne veut pas dire que mon intérêt pour le christianisme a disparu. J'y suis revenu + tard, au fil de mes lectures. Le phénomène humain de Teilhard de Chardin fut l'une d'entre elles. Je me souviens surtout d'avoir trouvé le livre compliqué et de ne pas l'avoir fini. Mais si je peux en parler aujourd'hui, c'est beaucoup grâce à ceux qui ont écrit sur l'oeuvre de ce prêtre jésuite et ont su, j'espère, bien le vulgariser. Décédé en 1955, de Chardin avait émis des idées que l'Église avait jugées incompatibles avec sa doctrine et l'avait contraint au silence. Ce n'est qu'après sa mort que ses livres ont été publié et que cette même Église a finalement repris en partie ses thèses pour démontrer que Dieu et la Théorie de l'Évolution peuvent co-exister.  

De Chardin s'est exprimé sur de nombreux sujets mais on retient surtout de lui son concept de la Noosphère. Noos qui veut dire esprit/raison/pensée en grec. Grosso modo, il y a selon lui 3 stades qui caractérisent l'évolution de notre planète. La Lithosphère; liée à la fabrication et l'organisation de la matière, la Biosphère; qui concerne l'apparition et le déploiement du vivant, ainsi que la Noosphère; qui correspond à l'émergence de la conscience. Toujours selon De Chardin, la conscience, étant déjà latente en la matière - ne serait-ce qu'en tant que principe organisateur – crée inlassablement les conditions nécessaire à son déploiement, tel que le démontre l'évolution de notre planète... Notons que cette hypothèse n'a pas besoin d'une intervention divine pour s'articuler car la conscience, mue par la volonté propre qu'elle a de se (re)connaître, met toute son énergie à transformer l'inerte en vivant, et le vivant en conscient. On est donc pas ici en présence d'un Dessein Intelligent ; les mécanismes de la sélection naturelle ont toute la latitude voulue pour s'exprimer, réussir ou échouer, comme Darwin l'a deviné. À la différence que la Création tend ici vers un but ultime: le point Oméga, un point que l'humanité atteindra une fois que son potentiel spirituel sera pleinement développé. C'est pourquoi De Chardin interprète la crucifixion et la résurrection d'un dieu qui s'est fait chair comme étant l'illustration du parcours qu'emprunte l'esprit afin de s'incarner et ainsi spiritualiser la matière. Autrement dit ( j'ai perdu le lien et donc le nom de l'auteur des prochaines lignes, dont certaines sont aussi de De Chardin )* : « Il est impossible, en effet, pour Teilhard d’échapper «à l’idée que la spiritualisation progressive de la matière», à laquelle la paléontologie lui faisait si clairement assister, « puisse être autre et moindre chose qu’un processus irréversible dans lequel, suivant son vrai sens, la matière, au lieu de s’ultra-matérialiser » (c’est-à-dire de tomber dans une inopérante et stérile inertie), «... se métamorphose au contraire irrésistiblement en Psyché » (c’est-à-dire en une complexité organique conditionnant l’apparition possible d’une conscience animale et finalement humaine, comme nous voyons que les choses se passent en cours d’évolution). » *

Dites-vous que c'est la faute à Patrick Lagacé si je vous parle de ça. Son dernier billet Nos déficits d'empathie est apparu sur mon fil Facebook. Comme la plupart des papiers qu'il écrit, j'ai bien aimé, mais la fin m'a fait un peu tiquer: « Dans ce frôlement du bus sur le cycliste et les applaudissements envoyés au chauffeur, je vois un rappel pas forcément anodin: notre vernis de civilisation est bien mince. » C'est un tantinet dramatique quand on compare avec le vernis des précédentes civilisations. Bien sûr que des injustices et des atrocités sont encore commises mais on est loin du temps où la noblesse avait droit de vie ou de mort sur ses serfs. Ou qu'on pouvait vous mettre en prison, vous torturer et vous exécuter sans motifs. Ça fait quand même quelques décennies (seulement!) qu'à Montréal, tout le monde a l'eau potable à volonté chez soi, et qu'il est interdit de faire travailler en usine de jeunes enfants 12 heures d'affilées. Je pourrais continuer longtemps... C'est aussi ça, le vernis de notre civilisation. Et il est rendu assez épais à certains endroits. Pour être franc, m'est d'avis que y'a un peu de Jésus dans tout ça, que son message a fini par passer quand on pense au peu de valeur qu'a longtemps eu la vie humaine. Dans un monde où vivre voulait pas mal dire survivre, ça devait pas être si évident de s'aimer les uns les autres... 

Dans le même ordre d'idée, et tiré du même journal pour lequel écrit Patrick Lagacé, on pouvait lire hier dans le blogue de Richard Hétu que l'empire du café Starbuck allait offrir pendant une journée une formation sur le racisme à tous ses employés. Ce n'est pas banal comme nouvelle. Pas tant pour la formation en soi que pour la charge symbolique que cette opération de relation publique porte. Un symbole très cher payé soit dit en passant. D'où sa portée... À cela, De Chardin aurait pu ajouter que c'est la fonction de la Noosphère de produire de l'éthique et des relations publiques tout comme il revient à la Biosphère de produire de l'eau et des cerveaux. 

Mais pour revenir à notre relatif déficit d'empathie, il est vrai qu'il est dérangeant d'entendre des gens minimiser le geste du chauffeur et les propos qu'il a tenus. Comme le souligne Patrick Lagacé, il n'était pas gêné dans ses mouvements et n'avait pas à menacer ainsi le cycliste. Rien de toute façon pourrait justifier qu'un autobus mette en danger la vie de quiconque même si oui, on est tous d'accord, une minorité tenace de cyclistes manquent de civisme et sont imprudents. Mais à mettre l'emphase ainsi sur un incident et les commentaires qu'il a suscités pour faire le point sur notre civilisation, on perd de vue la vertigineuse ascension de notre espérance de vie, de sa qualité - la vie est beaucoup moins éprouvante physiquement qu'il y'a 60-70 ans pour une grande partie de la population - et d'une certaine idée de la justice qui a fait son chemin, et ce, dans une proportion largement supérieure à ce qu'aucune autre époque ait connue jusqu'à maintenant. Ce qui qui ne serait pas un hasard selon de Chardin. Selon lui, comme l'accroissement de la conscience tend naturellement vers un bien-être supérieur - car ce sont dans ces conditions que la conscience peut le mieux s'exprimer et se complexifier -, elle travaille constamment dans ce sens. Avec pour conséquence de nous faire converger sur le long terme vers Dieu, le point Oméga, une route qui sera forcément encore longue et pleine d'obstacles car il ne peut y avoir d'évolution sans friction, d'où la nécessité du Mal. Un autre problème de résolu..! 

De Chardin serait sûrement d'accord pour dire que nous sommes présentement dans une phase de transition. Et si l'invention de l'écriture marque la fin de la préhistoire, l'apparition de l'internet pourrait bien jouer le même rôle et tracer ainsi une transition symbolique entre la Biosphère et la Noosphère. Il avait d'ailleurs lui-même prédit l'arrivée d'un tel réseau afin que chacune de nos consciences individuelles puissent toutes communiquer entre elles... Et en cette ère de l'information, il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas au moins concéder une certaine cohérence à son hypothèse. Quand même qu'on soit agacé par l'aspect téléologique de ce qu'il expose, on peut difficilement nier les liens qu'il noue entre la matière, la vie et la conscience. Et que sens et information sont bel et bien au cœur de notre univers puisque nous y sommes, d'où la Noosphère... Bien sûr, on peut réfuter tout cela en invoquant la tautologie qui se cache derrière l'argument mais j'aurais peur que ça se retourne contre celui qui le ferait, cela étant effectivement un argument bien sensé...

 

*mes excuse à l'auteur qui a eu la bonne idée de reproduire ce passage de De Chardin dans son papier...