#9 Rêveries mexicaines et autres divagations

« Ma mère, Jean François, elle retournerait vivre dans le désert si on la laissait faire! » s'est exclamé de sa voix haut perchée le technicien de Vidéotron alors que nous avions engagé une discussion sur ses origines. Avec son allure longiligne - il me dépassait de 3 têtes - et son nez très fin, j'aurais gagé qu'il venait de l'Érythrée ou de la Somalie. C'est pourquoi j'ai été surpris quand il m'a dit qu'il était né en Algérie. Mais après coup, j'ai refait l'examen de son faciès et j'ai reconnu à même la peau noire de son visage des traits que l'on rencontre chez les Berbères du Sahara. Il y a des peuples comme ça dont on dirait que l'origine est intrinsèquement métissée, comme s'ils appartenaient simultanément à deux ethnies différentes. Prenez les Birmans ou les Népalais; malgré leur yeux bridés, ils ne correspondent pas tout à fait à l'idée qu'on se fait des Chinois ou des gens du sud-est asiatique en général (...Tao, s'cusez-la). On peut voir qu'ils partagent avec leurs voisins indiens de nombreux traits. Même chose pour les Khazaks, ou même les Russes, dont on dirait que certains visages empruntent à la fois aux physionomies d'Asie et du Caucase.  

Mais pour revenir à la mère berbère du sympathique envoyé de mon fournisseur internet qui voulait retourner vivre dans le désert – pas lui mais sa maman – on aurait dit que je comprenais son désir, désir que j'attribuais à une envie de dépouillement, et surtout, une envie de beauté et d'horizon. J'imaginais qu'elle ne s'était jamais réellement habituée au «confort» de la ville et de ses tours à logements... Mais devant l'incompréhension que suscitait chez son fils un tel projet, j'ai gardé pour moi mes divagations. Faut savoir qu'il m'arrive de fantasmer depuis quelques temps sur la vie des Touaregs - des nomades du désert - une vie que j'imagine + proche de la nature, une vie dictée par la nature. Et depuis que je suis tout petit. j'ai toujours aimé me retrouver dans la nature. Mes premières expéditions en canot avec mon père étaient magiques. J'ai déjà évoqué ici les marches que je prenais à la tombée de la nuit avec ma grand-mère dans les chemins de terre étroits de la réserve Papineau-Labelle. Mon premier camp d'été scout chez les Éclaireurs est aussi un des beaux souvenirs de ma jeunesse. Deux semaines à vivre dans les bois, à faire des grands jeux et des expéditions. C'était le paradis. On avait bâti nos propres lits avec des branches et de la corde. C'était confortable en plus! Ensuite de l'âge de 18 à 36 ans, j'allais souvent vivre seul dans un shack quelques jours sur une presqu'île en forêt, sans eau courante ni électricité, et j'adorais ça. Il me suffisait d'aller à la chasse aux champignons, pêcher quelques truites et hop, un festin m'attendait...  

Mais si je pouvais choisir un lieu et une époque où je pourrais vivre de cette façon, je choisirais la péninsule du Yucatan, avant que les Espagnols n'y débarquent. Mon premier contact avec ce coin du Mexique remonte à quand j'avais 14-15 ans et que je suivais à chaque semaine les aventures de Thorgal que publiaient le Journal de Tintin. Ma mère me le rapportait à tous les samedis du dépanneur que mes parents opéraient. La trilogie du Pays Qâ dont l'intrigue principale se déroule en Amérique d'avant Colomb est devenue un classique parmi la longue série d'albums qui raconte la saga de Thorgal. À se fier aux magnifiques dessins de Rosinski, y vivre de chasse et de pêche à l'année longue semblait définitivement appartenir au domaine du possible. Et de l'agréable. On aurait dit une sorte d'Eden-sur-Mer où la Nature pourvoyait aux besoins de tous et chacun.

C'est vers l'âge de 24 ans que j'ai fait mon premier vrai voyage au Mexique. Et j'ai rarement «ressenti» un endroit comme la fois où je suis sorti du cœur de Mexico par une station de son métro au petit matin. En déambulant sur le zocalo, un grand square dont les côtés sont délimités entre autres par le Palais National et une immense cathédrale, l'étrange impression qu'un passé sombre imprégnait les lieux m'a rapidement habité, comme si j'y étais lié d'une manière quelconque... Mais peu importe la raison, je n'ai pas été surpris d'apprendre par la suite que c'était également là que les Aztèques avaient érigé un imposant lieu de culte; une pyramide sur laquelle était juché un temple où on commettait des sacrifices humains. J'avais aussi été grandement impressionné par l'ancienne cité de Teotihuacan et ses pyramides qui servaient elles aussi à perpétrer le même genre de cérémonie sanglante. L'extrait + bas donne une idée de ce à quoi ça pouvait ressembler. Sachez par contre qu'on on a reproché au réalisateur de ces scènes de montrer d'un peu trop proche comment ce rituel se déroulait... C'est tiré d'Apocalypto, un foutu bon film en ce qui me concerne, mais dont on n'a pas dit juste des bonnes choses. Je ne peux m'empêcher de penser que beaucoup de ses détracteurs reprochent avant tout au film d'avoir un dénommé Mel Gibson comme producteur, scénariste et réalisateur, mais ça, c'est une autre histoire. Oui il y a des anachronismes; on y parle un dialecte maya - avec un mauvais accent parait-il - alors que selon le contexte et l'époque où se situent l'action, c'est chez les Aztèques que nous aurions dû nous trouver. Mais bon, je vois mal comment on peut bouder son plaisir et ne pas embarquer dans ce qui est au final un super film d'action avec une intrigue et un scénario en béton, mon préféré dans le genre si j'avais à en choisir un seul. Et quand même que la reconstitution historique ne serait pas parfaite, il est rafraichissant de voir une fiction qui se déroule dans une Amérique exclusivement précolombienne. Et la manière dont on découvre la grande cité, ses quartiers animés, les coiffures et les parures de ses habitants, l'atmosphère qui y règne, tout ça est très réussi je trouve. Tout comme le sont les scènes du début où on voit comment s'organise la vie en communauté dans un petit village où le héros, Patte de Jaguar, sera capturé lors d'un raid destructeur dont l'objectif était avant tout - on le comprendra plus tard - de ramener de la chaire fraîche aux dieux du Soleil et de la Terre...

J'ai fait il y a une quinzaine d'année un rêve très intense, en relation avec une scène du film où les villageois capturés doivent marcher pendant plusieurs jours à travers la jungle avant de faire leur entrée dans la grande ville. J'ai déjà rêvé que j'étais l'un d'eux, mais en jeune enfant, et que j'étais attaché par les poignets et les chevilles à une grosse branche, un peu travaillée, et avec laquelle 2 soldats me transportaient. Assoiffé et à bout de force, j'ai senti petit à petit mon âme quitter mon corps, assez pour que je commence à me voir d'en haut, libéré de mes souffrances et de ma détresse. «She saaaid, I know what it's like to be dead». Moi aussi depuis ce rêve. Bien sûr, je ne peux pas affirmer avec certitude que cette scène m'a réellement informé sur ce qu'est la mort, mais une chose est certaine, l'intensité ressentie lors de ma libération a rendu ce moment très vivant, très réel.  

Je suis récemment retourné 2 fois au Mexique. L'an passé, dans la région de Tulum, seul avec ma blonde dans une cabane en bois et en toile, et ça m'a vraiment ravi. Un sac à dos, la mer à 30 pieds, avec des vagues juste assez grosses pour que lorsqu'elles cassent, on puisse se faire emporter, à condition de bien se synchroniser avec la poussée . Un art en soi que je peux peaufiner à répétition. Et le petit bar, en bambou et en paille, toujours sur la plage, servant des tacos fancy succulents, avec de la bonne musique, et fréquenté par toutes sortes de belles gens. J'en conviens, il serait difficile de pas apprécier. Mais si j'en parle, c'est aussi parce qu'encore une fois, je n'ai pu m'empêcher de m'imaginer en citoyen de Tulum au 14e siècle, vivant dans ce fabuleux paysage alors que je visitais les ruines de l'ancienne cité sise près d'une falaise qui donnait sur un horizon majestueux. J'ai beaucoup aimé mon voyage au Portugal en 2010 mais je ne m'imaginais pas pour autant Templier quand j'ai visité le château de Tomar. Anyway. Même dans un tout-inclus à Akumal en famille comme ce printemps, le Mexique c'est super. Holà Raul! 

J'ai commencé ce billet en parlant des ethnies dont on dirait qu'elles chevauchent deux identités à la fois. Et c'est une des choses qui m'a le plus frappé lorsque je me suis rendu au Mexique pour la première fois. Je ne connais pas bien les autres pays d'Amérique centrale et du sud mais le peuple mexicain me donne l'impression d'être unique en son genre, d'être un jeune peuple, issu d'un brassage tumultueux - et dont les effets ont encore des répercussions aujourd'hui – mais dont la dualité est pleinement reconnue et incarnée. Y'aurait beaucoup à dire là-dessus... surtout quand on pense au rapport - à l'absence de rapports - que nous entretenons avec les Amérindiens. Il y a dans ma familles des traces de métissage évidentes du côté de mes grand-parents maternels. Et je ne crois pas être le seul Canadien français dans cette situation. Mais on dirait que c'est comme un tabou. Comme si personne ne cherchait à savoir quand, où et avec qui les rencontres se sont produites. Y a-t-il un historien dans la salle?

Mom, j'ai des questions...

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