#12 L'affaire avec la musique (et l'infâme Jordan Peterson) 

"I'd heard there was a secret chord 
That David played and it pleased the Lord 
But you don't really care for music, do you?"

                                       - Leonard Cohen

 

J'avoue éprouver une certaine nostalgie lorsque je me rappelle l'heure du souper alors que j'étais encore un enfant, ou plus précisément un pré-adolescent. Je ne sais pas si ma mémoire enjolive mes souvenirs mais j'ai l'impression que c'était un moment où l'on prenait vraiment le temps d'échanger en famille. Nous étions loin d'être bourgeois - mes parents tenaient un dépanneur - mais selon les standards de la rue où j'habitais, nous mangions tard, à 18h, en même temps que commençait le téléjournal de Radio-Canada que nous écoutions religieusement. J'ai l'air de me contredire en disant que c'était un moment où nous échangions mais d'écouter le téléjournal en soupant nous donnait plein de sujets de conversation qui s'ajoutaient aux anecdotes qui s'étaient passées durant la journée. Souvent le repas s'étirait au-delà du téléjournal et nous prenions le dessert en buvant du thé - avec beaucoup de lait et beaucoup de sucre dans mon cas - tout en continuant de regarder l'émission qui succédait aux nouvelles. Je me souviens d'Avis de Recherche, une émission animée par le très moustachu Gaston L'Heureux pendant laquelle il présentait d'anciens camarades de classe à une vedette de l'heure qui, on l'espérait, allait se remémorer des anecdotes cocasses. Il me revient une fois en particulier où Guy Lafleur était l'invité et il ne semblait pas se rappeler de grand chose ni de grand monde. Et lorsqu'il arrivait à mettre un nom sur un visage qui lui disait vaguement quelque chose, son ton monocorde pouvait laisser penser qu'il s'en crissait un peu... La gêne probablement. Je me rappelle aussi d'une fois où l'invité de la semaine - que je ne connaissais pas à l'époque, le chanteur Sylvain Lelièvre* - avait dit quelque chose qui m'avait laissé perplexe et pantois : « La musique, c'est des mathématiques dans l'fond... ». Quoi!? C'était impossible car j'adorais la musique et détestait les mathématiques. Et pourtant...

Elle est tellement omniprésente qu'on en fait pas grand cas mais la musique est vraiment un phénomène unique quand on y pense. Et en tant qu'être humain ayant été fasciné assez tôt par la musique, j'ose affirmer que j'en connais quand même un peu sur le sujet. Il va s'en dire que son pouvoir d'attraction est immense, universel, immédiat, et que son enjouement, sa beauté et son intelligibilité - se fondant simultanément les uns dans les autres - font de la musique un des rares plaisirs qui ne s'érode pas avec l'âge. Pour toutes ces raisons, j'aime penser que la musique n'est rien de moins qu'une manifestation divine. Je ne parle évidemment pas ici d'un dieu barbu omniscient et moralisateur mais plutôt d'un principe organisateur et transcendant (ce qui donne le joli acronyme P.O.E.T. ..! ) à partir duquel la musique dériverait, émanerait comme un écho. Car au-delà de l'aspect physique, vibratoire du son lui-même, la musique produit du sens et suscite de l'émotion d'une manière qu'il est très difficile d'expliquer car cela dépasse justement le langage. Mais il n'en demeure pas moins que la musique nous parle. Et c'est pourquoi elle nous captive autant. Je suis resté quelques années au-dessus d'une petite garderie familiale et il était fascinant de voir des bambins sachant à peine marcher se tenir après la clôture et se déhancher instinctivement avec le gros sourire sur la musique que la gardienne faisait jouer quotidiennement. Depuis, j'aime dire aux élèves à qui j'enseigne la guitare et qui s'interrogent à savoir s'ils «ont» le rythme, que oui ils l'ont, mais qu'il arrive que certaines personnes le perdent, s'en déconnectent avec le temps, en quel cas il est possible de le retrouver, en autant qu'on pratique (en tapant du pied avec un métronome). Tout est rythme quand on y pense. Notre cœur qui bat, les atomes qui vibrent, la Terre qui tourne ; sur elle-même et autour du soleil, le cycle des saisons et les fêtes qui y sont associées, etc. Il y a donc là une part d'explication, je crois, au sens qui se trouve dans la musique. L'aspect rythmique de la musique nous relie à l'infini grand comme à l'infini petit, bref à tout ce qui nous entoure et que l'on contient. Aussi, à partir du moment qu'elle se fait entendre, la musique devient un marqueur du temps. Elle l'épouse, le colore, le rend «visible», ou plutôt audible, et ce faisant le suspend, comme si elle arrivait à se substituer au temps lui-même... 

Mais cela n'est pas dû seulement qu'au rythme, l'harmonie participe aussi à l'entreprise. Que des sons, des notes jouées simultanément par un ou plusieurs instruments puissent faire office d'intro, de couplet ou de refrain, puissent suggérer une sorte de récit, c'est aussi cela je crois qui ne cesse de nous étonner comme auditeur. Inutile d'entrer dans les explications théoriques qui détailleraient pourquoi une chanson qui commence sur tel ou tel accord contiendra dans une grande proportion cette suite d'accord plutôt qu'une autre. Mais que l'harmonisation des notes et des sons soient porteur d'une logique, d'un sens, d'une émotion, d'un esthétisme - tout ça à la fois - est une chose remarquable en soi. Certains s'objecteront en disant qu'il s'agit simplement de conditionnement culturel mais je ne vois pas en quoi cela réfute quoi que ce soit. Toute entreprise humaine est par définition culturelle, surtout lorsqu'il s'agit de disciplines artistiques. Que des patterns finissent par émerger et se répéter n'a rien de surprenant. Et qu'ils diffèrent et ne pointent pas pas tous dans la même direction selon la partie du globe où ils émergent n'a pas de quoi nous étonner non plus. Le phénomène reste le même; la musique transmet un sens qui, s'il peut varier selon les individus et les régions d'où elle provient, n'en est pas moins réel pour autant dans l'instant où elle se déploie. Et à ceux qui répondraient qu'on ne peut se fier sur une expérience subjective telle l'émotion que nous ressentons à l'écoute d'une pièce musicale pour évoquer le réel, qu'il faudrait s'en tenir à des critères uniquement objectif pour ce faire, je répondrais qu'il ne saurait y avoir d'objectif sans subjectif...  

Il s'avère qu'autant pour ce que je viens d'évoquer à l'instant, que pour l'aspect transcendant de la musique, je trouve un allié en la personne du controversé professeur de psychologie de l'Université de Toronto, Jordan Peterson. Pour ceux qui ne le connaisse pas, Jordan Peterson est le nouveau darling de la droite nord-américaine. Il s'est fait connaître d'abord par son opposition à un projet de loi qui exposait à une amende un professeur qui refuserait d'appeler par un pronom non genré (ze au lieu de he ou she) un étudiant qui en aurait fait la demande. Bien qu'il soit disposé à le faire dans sa pratique, il s'insurgeait du fait qu'une loi puisse l'obliger à utiliser certains mots, voyant en cela comme un dangereux précédent. Sa popularité a par après bondi de façon exponentielle à la suite de la diffusion d'une émission d'affaire publique britannique, devenue virale depuis, pendant laquelle l'intervieweuse essayait de lui faire dire toutes sortes de choses à l'aide de questions tendancieuses qu'il réfutait calmement et avec éloquence. Décontenancée, elle s'avoua même vaincue après que Peterson lui ait fait valoir que la poursuite de la vérité ne pouvait se faire sans prendre le risque d'offenser son interlocuteur, chose qu'elle-même ne se gênait pas de faire depuis le début de l'entretien... Avant même de tomber sur cette entrevue, j'avais visionné par hasard un de ses vidéos où il explique rapidement ses vues sur la musique (à partir de 4:25). J'avais d'ailleurs posté un lien sur mon profil FB tellement j'étais content de trouver quelqu'un qui avait les mêmes vues que moi sur ce sujet. Il ne se cache pas non plus d'avoir vécu des expériences mystiques. Bref, ne soyez pas surpris si j'y fais référence. Le fait qu'il soit devenu l'idole d'une certaine droite raciste, misogyne et homophobe - qui manifestement entend seulement ce qu'elle veut entendre et que Peterson condamne - n'entache en rien, du moins si je me fie à ce ce que j'ai pu entendre, l'originalité de ses vues sur le concept de Dieu et les archétypes qui en découlent. Ce vidéo sur le sens de la musique est même plus éloquent que ce que j'ai pu écrire + haut. J'en conviens, c'est très ressemblant mais bon, je vous jure, je pensais pareil avant!


Ça fait longtemps que j'ai fait la paix avec ce qu'avait dit Sylvain Lelièvre. Les mathématiques, autant à travers le rythme que l'harmonie, sont effectivement au coeur de la musique. Et elles sont aussi au coeur d'un autre débat, celui-là beaucoup plus questionnant: Les mathématiques sont-elles l'invention de l'homme ou sont-elles plutôt inhérentes à la nature, au cosmos? Pas facile d'y répondre. Chacun ses préjugés... 

 

 

* À moins que ce ne soit l'émission Star d'un soir..?

 

 

 

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